Cosmologie et mythes des Mayas

Vue en hauteur du site de Tikal au Guatemala

L’ancienne civilisation maya, dont les ruines visibles en Amérique centrale impressionnent tant les visiteurs, suscite, en même temps que le respect pour un passé brillant, le sentiment d’une énigme inexpliquée. Les vestiges de ce monde disparu montrent des signes d’une maturité et d’un savoir authentiques. En revanche, ce que nous croyons savoir de la religion polythéiste et de la mythologie des Mayas incite certains de nos contemporains, qui ne comprennent pas le sens symbolique de ces mythes, à ne voir en ceux-ci que le produit de peurs névrotiques doublées d’une naïveté confinant à la puérilité. On se trouve dès lors en présence d’une contradiction, car on ne bâtit pas une civilisation avancée et raffinée sur la crainte et la superstition.

Un épais volume, voire plusieurs ouvrages, ne suffiraient pas à épuiser les multiples aspects de la question. Cette étude se borne à proposer un éclairage à la réflexion et à suggérer une voie de recherches à celles et ceux que le sujet intéresse. Il s’agit moins d’érudition que de comprendre l’esprit d’un monde ancien, ce que ne favorisent pas l’étroitesse et l’insuffisance des conceptions qui dominent à notre époque.

Grandeur et déclin de la civilisation maya

L’existence de cette civilisation est attestée dès 1500 av. J.-C., voire 2000 av. J.-C. selon certains archéologues. Avant qu’elle ne se désagrège au Xe siècle ap. J.-C., elle a laissé des traces de son génie dans son architecture, ses créations artistiques et ses écrits. Elle développait des calculs mathématiques complexes, applicables notamment à l’astronomie.

Stèle à Copan, Honduras

L’unité organique du monde maya tenait moins au pouvoir centralisateur des monarques qu’à l’autorité intellectuelle et spirituelle de la classe sacerdotale savante. Les prêtres, gardiens du savoir, assuraient l’éducation des autres classes. En fonction du calendrier sacré, ils géraient le temps des évènements publics, les rites, les fêtes, les cérémonies… Ils connaissaient l’écriture, les remèdes aux maladies, et étaient les gardiens de la mémoire collective.

Ce que l’on sait moins, c’est que l’élite sacerdotale maya, comme celle de la plupart des civilisations anciennes, possédait une connaissance de l’être humain que le monde moderne a perdue, mais dont les textes sacrés, quand on parvient à les décrypter, portent témoignage et laissent des indices. Cette science ne se bornait pas à un savoir théorique ; une technique spirituelle, appelée l’initiation, opérait sur l’individu initié une véritable transmutation propre à façonner un homme accompli.

Le déclin de la civilisation maya s’amorce à partir du moment, qu’il nous est impossible de dater, où le niveau de l’élite intellectuelle s’est dégradé jusqu’à perdre de vue la signification subtile de ses mythes. Les divinités du culte polythéiste ne furent plus regardées comme des allégories dont il fallait comprendre le sens symbolique, mais comme des êtres puissants guère plus matures que les humains. Au dernier degré de sa décadence, la religion fut réduite à l’état de superstition populaire et d’instrument de domination politique. Alors qu’initialement offrir son sang aux dieux symbolisait la volonté de sublimer sa propre force vitale, cet acte rituel, pris à la lettre, donna lieu à des sacrifices sanguinaires sous prétexte de se concilier des divinités voraces, en réalité pour tenir le peuple dans l’intimidation et l’ignorance.

Édifice sur le site de Copan, Honduras

Les abus finirent toutefois par trouver leur limite. Le roi Waxaklahun Ubah K’awiil (« Roi 18 Lapins »), siégeant à Copan, faisait croire à ses sujets que le soleil se levait chaque matin grâce au rituel qu’il célébrait quotidiennement, jusqu’au jour où ses opposants politiques convainquirent même les illettrés que ces fadaises n’étaient que du bluff. Une révolte populaire renversa le souverain, qui fut exécuté. La fonction royale, autrefois parée d’un prestige surnaturel, devint à ce point insécure et discréditée qu’elle ne suscita plus les convoitises.

Ruines sur le site de Copan

Les changements climatiques, la sécheresse, la surpopulation et la malnutrition, auxquelles on attribue la chute de la civilisation maya, doivent plutôt être regardées comme des causes incidentes. Alors que l’unité gouvernementale des peuples mayas s’était morcelée en petits royaumes en guerre les uns contre les autres, la société maya et ses dirigeants décadents ne furent plus en mesure de s’adapter à des perturbations auxquelles, en d’autres temps, ils auraient probablement su faire face. Les grands sites architecturaux furent abandonnés, et plusieurs des techniques et des arts, comme la poterie, se perdirent.

L’une des grandes tragédies de l’histoire du Nouveau Monde, en sus des massacres perpétrés par les conquistadors espagnols, fut la destruction par ceux-ci des livres hiéroglyphiques mayas. Toute une mémoire écrite fut livrée aux flammes afin de « purger » les indigènes de leur religion traditionnelle. Des textes anciens ont cependant survécu au carnage. Parmi eux, le Popol Vuh nous offre un témoignage capital sur la mythologie et l’intellectualité des anciens Mayas.

Un témoignage essentiel : le Popol Vuh

La destruction de leurs livres hiéroglyphiques incita les scribes quichés à préserver ce qu’ils pouvaient de leur héritage culturel et spirituel. À cet effet, ils transcrivirent avec l’écriture européenne, dans la langue maya des Quichés, des livres anciens porteurs de leurs mythes et de leur doctrine, dont le fameux Popol Vuh. Ces manuscrits furent gardés secrets par les indigènes, soucieux de les préserver du fanatisme destructeur de certains membres du clergé catholique.

Deux siècles après la conquête, un prêtre espagnol appelé Francisco Ximénez, curé de Chichicastenango au Guatemala, accéda au Popol Vuh. Grâce à sa connaissance des coutumes et des langues locales, acquises pour avoir vécu dans les communautés mayas, il gagna la confiance des anciens ; il sut les convaincre de lui prêter le manuscrit pour en faire une copie. Il transcrivit le texte quiché du Popol Vuh, et le doubla d’une traduction en espagnol.

Le nom « Popol Vuh » s’interprète comme signifiant « registre de la communauté ». La première partie est une pure mythologie, avant d’évoluer progressivement vers une narration historique dans laquelle il est difficile de discriminer entre le mythe héroïque et l’histoire réelle.

La première approche du Popol Vuh produit souvent un effet déroutant, consécutif à l’expression d’une pensée et d’une vision étrangères à la mentalité contemporaine. Par exemple, on y voit souvent des redites récapitulant, en ordre inverse, ce qui a été précédemment énoncé. L’objectif du procédé n’est pas de désorienter le lecteur, mais d’élever son regard à une vision d’ensemble, plus apte à saisir et à éclairer certaines vérités. Quand on surmonte les difficultés que présente cet ouvrage, on se prend à gouter la poésie et la magie du texte. Et lorsqu’on lui applique certaines clés de lecture propres à scruter sa signification symbolique, on entrevoit des choses intrigantes sur les connaissances que détenait ce monde ancien.

Un mode de pensée symbolique

Image extraite du Codex de Dresde

Bartolomé de las Casas se disait impressionné par l’habileté et la technique d’écriture des livres hiéroglyphiques des Mayas, dont les figures et les caractères avec lesquels ils étaient écrits leur permettaient de signifier avec une grande subtilité tout ce qu’ils désiraient. Les glyphes mayas sont en partie phonétiques et en partie idéographiques, un glyphe exprimant un concept entier, d’une valeur essentiellement symbolique. Quand les anciens Mayas méditaient sur ces écrits, leur entendement s’ouvrait et leur conscience accédaient à une vision élargie.

Les mythes sacrées doivent se comprendre au-delà d’une lecture littérale, selon leur signification allégorique. Il est de l’essence du langage symbolique de ne pas se réduire à un sens systématique ; le rôle des symboles est de servir de support à des conceptions dont les possibilités d’extension sont illimitées. La pensée rationnelle des modernes cherche la précision ; mais elle atteint cet objectif au prix d’une vision réductrice des concepts qu’elle manipule. La pensée symbolique, à l’inverse, suggère, plus qu’elle ne circonscrit, des idées métaphysiques que le langage discursif ne peut exprimer sans réduire ni dénaturer. Ceci explique notamment que les noms des divinités et des héros mythiques donnent lieu à plusieurs traductions, car leur caractère symbolique fait qu’il est impossible d’en restituer une transcription précise et unique.

Cette vision symbolique du monde se traduisait dans les cultes dits polythéistes. Pour rendre justice à l’intellectualité des anciennes civilisations, il serait de bon ton de ne pas prendre à la lettre l’expression de leurs mythes, et de chercher à comprendre leur sens allégorique.

Les trois mondes

Dans la cosmologie maya, comme dans à la plupart des cosmologies de la terre, le monde s’étend sur trois niveaux ; l’étage supérieur comprend le Ciel ou le Supramonde, le plan terrestre englobe la Terre des vivants, tandis qu’au niveau inférieur se trouve l’Inframonde souterrain et ténébreux, le royaume des morts, appelé Xibalba par les Mayas.

Dans leur signification symbolique, le Supramonde céleste évoque la composante lumineuse de l’être humain, ainsi que les états de conscience supérieurs à la conscience terrestre ordinaire, tandis que l’Inframonde souterrain désigne les états de conscience inférieurs, en même temps que la composante obscure de l’être humain. Cet Inframonde, assimilé à la racine ténébreuse de l’être, ne se réduit pas au concept moderne, bien trop restreint, de l’inconscient freudien.

Seigneur de Xibalba

Le sens originel du nom Xibalba exprime ce qui est caché aux hommes, et qui suscite la crainte et l’effroi ; il recoupe ce que d’autres mythologies appellent le Schéol, l’Hadès ou l’Enfer. L’Inframonde souterrain est le lieu où reposent les morts, c’est-à-dire les parties mortes de l’être humain. Le Popol Vuh le décrit comme étant un lieu cauchemardesque, la demeure des esprits mauvais et des démons. Les seigneurs de la mort qui règnent sur cet Inframonde diffusent les maladies et les malheurs ; ce sont les fauteurs de querelles, les tentateurs du péché et de la violence, les maîtres de la tromperie. Cette composante obscure de l’être humain recèle en effet une forte charge de déchets et d’impuretés psychiques. Elle abrite également les tendances impulsives qui poussent l’individu, souvent de façon inconsciente, à commettre des fautes, parfois des crimes.

L’Inframonde a été représenté comme un espace aquatique. L’eau qui donne la vie vient du ciel avec la pluie, mais aussi d’en dessous de la terre, ce qui associe l’Inframonde au siège de la fertilité. Ce lieu obscur de la mort, en sus de son aspect négatif, est également perçu comme le ventre de la terre pourvoyeur de vie, de même que le ventre d’une femme permet de donner naissance à des êtres humains.

L’arbre à kapok, site de Los Amates, Guatemala

L’arbre à kapok, l’arbre sacré des Mayas, figure l’axe reliant entre eux les trois mondes. Au point de vue initiatique, l’être humain aura à s’identifier avec ce lien entre les états célestes et infernaux. Tout homme possède virtuellement en lui cette identification, que le candidat à l’initiation devra rendre réelle afin de pouvoir s’élever vers les Cieux et de rendre possible son épanouissement total.

Grotte de Candelaria, Guatemala,
où les Mayas situaient l’accès à l’Inframonde

Dès la préhistoire, les peuples ont associé symboliquement les montagnes à l’ascension vers le ciel, et les grottes à la descente dans le monde souterrain. Dans les régions sans relief,les Mayas ont imité la nature. C’est ainsi que les temples en forme de pyramides se substituent aux montagnes pour évoquer la connexion avec le Supramonde.

Les Mayas croyaient que l’Inframonde avait neuf niveaux, chacun d’eux étant régi par un « seigneur de la nuit », alors que le Supramonde comptait treize étages, chacun ayant son propre dieu. Il est curieux de remarquer que dans la Divine Comédie de Dante, l’Enfer comprend neuf cercles infernaux. On pourrait accumuler les similitudes entre les traditions spirituelles du monde sans que cette communauté de symboles n’autorise à parler de filiation ou de communication entre elles, surtout quand leur éloignement dans le temps ou dans l’espace exclut qu’on puisse admettre l’influence des unes sur les autres. Le fond doctrinal des traditions initiatiques est universel, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’on trouve partout les mêmes vérités exprimées sous des formes symboliques analogues.

Le panthéon maya

La mythologie maya n’est pas, à l’origine, le fruit d’une fantaisie gratuite. Les figures allégoriques qu’elle met en scène illustrent des concepts métaphysiques que le langage courant serait déficient à exprimer dans toute leur étendue et toute leur subtilité.

Conformément à la spécificité de la pensée maya, fondée une vision duelle des choses, les divinités sont le plus souvent nommées par paires. Les acteurs divins, tout comme les principaux héros des mythes, existent et agissent en duo. Ce procédé permet de mieux cerner un phénomène en l’illustrant sous ses deux aspects complémentaires.

Temple-pyramide du « Roi Chocolat », site de Tikal, Guatemala

Le dieu principal dans le récit du Popol Vuh semble être Hurakan. Il déploie son action sous les aspects symboliques du vent, le souffle étant une métaphore de la puissance génératrice de l’Esprit divin. Hurakan est assisté de trois démiurges qui personnifient autant d’aspects de la foudre, image elle-même du Feu divin créateur. La foudre figure également la force vitale qui fertilise la terre. Hurakan est encore appelé Cœur du Ciel ; son double féminin, Cœur de la Terre, participe avec lui à la création. Le « cœur » fait référence à la source de l’« esprit vital », qui donne vie à toute chose. Il évoque également le point central que traverse l’axe reliant entre eux le Ciel, la Terre et l’Inframonde, et autour duquel tournent les cycles de création.

Lors de chaque phase de la création, Cœur du Ciel conçoit en premier l’idée de ce qui doit être formé, tandis que les autres divinités donnent à sa volonté son expression formelle. Ces relais ne se bornent pas à exécuter passivement ses ordres ; toute action créatrice devant être prise en compte dans sa spécificité, elle résulte d’un effort unifié de ces acteurs divins, qui délibèrent avant d’agir de concert.

Parmi les autres couples divins en action dans le Popol Vuh, on rencontre Xpiyacoc, le « père », et Xmucane, la « mère », Xpiyacoc, également appelé Celui qui a engendré, étant l’aspect actif « masculin » du principe créateur, et Xmucane, évoquée également sous le noms Celle qui a enfanté, son aspect récepteur « féminin ». D’autres acteurs fréquemment mentionnés dans tout acte de création sont appelés l’Encadreur et le Façonneur. Créer une chose signifie en effet lui fournir un cadre et une forme ; lEncadreur est celui qui définit ce cadre, et le Façonneur celui qui modèle la chose en formatant une substance préexistante.

Le Serpent Quetzal

Comme autre duo créateur on trouve le Souverain et le Serpent Quetzal. Le Serpent Quetzal ou Serpent à plumes, appelé Kukumatz en langue quiché – Quetzalcoatl chez les Aztèques – est identifié à l’Eau primordiale, symbole elle-même de la Substance première indifférenciée, source de toute vie. Avec son complémentaire, le Souverain, le Serpent Quetzal incarne la puissance inhérente à ces Eaux élémentaires. L’image combinant l’oiseau céleste et le serpent terrestre et souterrain indique sa présence et son pouvoir à tous les niveaux, de la lumière du monde supérieur à l’obscurité des eaux profondes. Tous les dieux créateurs sont décrits comme étant « lumineux dans l’eau » et, enveloppés de plumes de quetzal – l’un des plus beaux oiseaux du monde -, ce qui les assimile eux-mêmes au Serpent Quetzal. Dans leur essence, ce sont de grands sages, détenteurs de la connaissance, le serpent étant un symbole de sagesse.

La création de la terre

Les premiers chapitres du Popol Vuh relatent la création du monde en parlant au présent, car en réalité, ils ne décrivent pas un évènement qui serait survenu dans un passé immémorial. Ils évoquent en langage symbolique l’univers actuel, depuis ses principes métaphysiques les plus élevés jusqu’aux choses terrestres visibles, la succession temporelle n’étant elle-même qu’un mode d’expression symbolique.

Avant la création, tout est silencieux et immobile, plongé dans la nuit et l’obscurité. Rien d’autre n’existe que le ciel et la vaste étendue de la mer aux eaux placides, d’où toutes choses émergeront. La ressemblance avec la situation initiale que décrit la Genèse biblique ne tient aucunement à l’influence d’éléments chrétiens ; le fond des doctrines métaphysiques étant universel, leurs expressions symboliques présentent souvent de telles similitudes. L’Océan primordial symbolise la Substance première universelle susceptible de prendre toutes les formes, à tous les degrés de manifestation, quand l’Esprit divin lui impose ses déterminations

L’Esprit divin créateur intervient toujours sous l’aspect d’au moins l’un des couples de divinités précédemment nommés : l’Encadreur et le Façonneur, le Souverain et le Serpent Quetzal, Cœur du ciel et Cœur de la terre, Xpiyacoc et Xmucane, Celle qui a enfanté et Celui qui a engendré des fils…. Parmi ces divinités, Cœur du Ciel apparait comme celui qui préside à l’œuvre.

Dans l’obscurité primordiale, Cœur du Ciel et ses trois démiurges, qui personnifient la foudre ou le Feu céleste, se concertent avec le Souverain et le Serpent Quetzal ; ensemble, ils conçoivent la lumière et la vie.

Puis ils créent la terre en la « mettant à part » dans les Eaux primordiales, c’est-à-dire en la spécifiant dans la Substance première universelle. Il leur suffit de dire « Terre » pour que la terre soit formée, leur parole symbolisant la puissance conceptrice et formatrice de l’Esprit divin. Des Eaux primordiales ils tirent ensuite les montagnes et les vallées, aussitôt constituées. Puis sont créés les bosquets et les forêts pour couvrir la surface de la terre. Ils arrangent ensuite la germination des arbres, des arbustes et de toute vie…

Les cours d’eau sont divisés en branches coulant parmi les montagnes, révélant ainsi l’existence de ces dernières. L’énergie élémentaire du monde, symbolisée par un cours d’eau, est spécifiée en plusieurs niveaux appelés à vivifier autant d’aspects de la création.

La création des hommes

Les dieux créateurs décidèrent de produire des êtres dotés de la parole, de sorte que ces créatures puissent les adorer. Dans son sens réel, l’adoration que sollicitent les divinités ne vise pas à combler un besoin narcissique qu’éprouveraient des entités imbues d’elles-mêmes ; elle fait référence à la mission que toutes les traditions spirituelles attribuent à l’homme : devenir un lien et un relai entre le monde céleste et le milieu terrestre où il vit.

Les animaux furent conçus et façonnés, mais comme ils ne savaient que crier, gémir ou rugir, ils s’avérèrent incapables de louer leurs créateurs, dont ils ne pouvaient même pas prononcer les noms. Les dieux, constatant leur échec, déchurent les animaux de la place prépondérante qu’ils leur avaient réservée sur la terre, et entreprirent d’autres tentatives pour créer ceux qui les adoreront, c’est-à-dire ceux qui sauront garder le contact avec le Ciel.

Dans les trois essais qui suivirent, les acteurs divins utilisèrent pour matériaux successivement l’argile, le bois et le maïs. Dans une lecture symbolique, ces quatre essais correspondent à quatre types d’êtres humains. La première catégorie, identifiée aux animaux, englobe les individus dominés par leur âme animale et ses pulsions instinctives ; bien qu’étant dotés de la parole, ils sont incapables d’exprimer une pensée cohérente.

Au deuxième essai, les dieux créateurs modelèrent et façonnèrent les hommes à partir de l’argile, mais le résultat fut décevant. La tête de ces humains était fixe au point qu’ils ne pouvaient regarder que dans une seule direction. À peine ces êtres de terre furent-ils détrempés qu’ils se sont effondrés et dissous dans l’eau. La rigidité de ce type humain entrave sa vision, mais ne masque pas longtemps son inconsistance.

Les êtres divins décidèrent alors de tailler des effigies dans le bois. Ces homme en bois pouvaient parler, mais leur visage et leur corps étaient rigides. Ils marchaient sans but, ne possédant ni leur cœur ni leur esprit. Leur incapacité à grandir dans la connaissance et à s’adresser à leurs créateurs les voua à leur destruction. Un déluge planifié par Cœur de Ciel s’abattit sur eux et les noya. Ce ne fut pas seulement le déluge qui sévit contre ces hommes ; les éléments naturels et les animaux sauvages les broyèrent, tandis que leurs animaux domestiques et leurs ustensiles dont ils s’étaient servis s’acharnèrent contre eux pour se venger de la façon dont eux-mêmes avaient été maltraités. L’homme se croit puissant quand il est armé et équipé, mais ses possessions extérieures ne lui appartiennent pas vraiment ; dès qu’il perd ces moyens, il se retrouve chétif et vulnérable. Le récit ajoute que les singes dans la forêt descendraient de ces effigies en bois ; cette assimilation signifie que la conscience supérieure et la compréhension essentielle font défaut à ce type d’hommes autant qu’aux animaux.

Plus tard, les dieux créateurs choisirent de prendre des épis de maïs pour former la chair vivante de l’humanité nouvelle. Le maïs évoque pas seulement la nourriture ; la croissance de ses grains, comme celle du grain de blé dans l’Évangile, illustre les potentialités de l’être humain destinées à se développer, si l’individu favorise leur croissance, pour donner naissance à un être nouveau. L’homme ne devient véritablement homme que lorsqu’il porte en lui cette promesse de la vie divine appelée à éclore.

Ces premiers hommes n’étaient pas seulement capables de parler un langage intelligible, d’écouter et de méditer ; ils voyaient tout ce qui se trouvait dans le ciel et sur la terre, de sorte que leur connaissance devint complète. Mais les dieux virent comme une erreur le fait que les humains soient comme eux. Ils limitèrent leur vue à ce qui se trouve dans leur environnement et à çe qui n’est caché par aucun obstacle. Les Mayas croient cependant que, malgré cette restriction, chaque être humain porte en lui le potentiel de la vision divine, qui lui permettrait de « voir » au-delà du temps et de la distance, et d’atteindre ainsi la connaissance et la sagesse. Cette faculté ne lui sera toutefois pas donnée gratuitement ; il devra la gagner au prix de son travail spirituel. L’homme dispose des atouts qui lui permettent de se construire ; il lui appartient de poursuivre sur lui-même l’œuvre créatrice, notamment grâce à l’art de l’initiation.

Le Popol Vuh précise que la création des hommes s’est produite avant l’apparition du soleil, de la lune et des étoiles. Cette invraisemblance apparente s’explique lorsqu’on comprend que cette imagerie renvoie à l’évolution intérieure de l’être humain. Dans leur sens symbolique, ces corps célestes figurent le rayonnement de la lumière dans le ciel intérieur de la conscience. Les luminaires célestes évoquant des états de conscience supérieurs, il parait donc cohérent que leur révélation survienne après celle des états humains inférieurs.

Le parcours initiatique

L’initiation, dont le but est l’accomplissement des états suprahumains, implique l’ascension dans les Cieux, mais cette élévation doit être précédée de la descente dans les Enfers situés métaphoriquement sous la terre, car la régénération de l’être ne se conçoit pas en ignorant sa partie obscure « souterraine ». Toute la littérature à fond initiatique du monde fait précéder l’accès durable à la lumière par des pérégrinations dans les ténèbres, avec leur suite de terreurs et d’épouvantes. La descente permet de prendre conscience des réalités d’ordre inférieur, qui doivent être épuisées avant qu’il soit possible de réaliser ses états supérieurs.

La barque du Roi Chocolat descendant dans l’Inframonde, image gravée sur un os trouvé à Tikal au Guatemala

Dans les croyances des Mayas, le voyage post-mortem du roi suit un trajet similaire à celui des initiés, ce qui sous-entend que les souverains furent eux-mêmes des initiés. Le roi défunt descend dans le monde souterrain, combat les dieux malveillants de l’Inframonde, puis entame l’ascension dans le Supramonde où il devient un dieu. Un os gravé trouvé dans la sépulture de Jasaw Chan K’awiil I (le « Roi Chocolat »), sur le site de Tikal au Guatemala, montre la barque du roi navigant dans les eaux du monde inférieur. Cette image rappelle la barque évoquée dans le Livre des morts égyptien, avec laquelle le soi-disant défunt – qui en réalité est un initié bien vivant – descend aux Enfers. Les eaux sur lesquelles navigue l’initié dans l’Inframonde sont celles du psychisme inférieur, identiques à celles de la « mer des passions ».

Barque du Roi Chocolat version moderne colorée, peinte sur un mur de l’association Ak’Tenamit, Guatemala. Les animaux présents à bord indiquent la maitrise par le roi de ses propres énergies animales, devenues motrices.

Plonger dans ses propres profondeurs exige un grand courage, car il faut s’attendre à affronter des visions terrifiantes. Les démons, ainsi que toute nature redoutable que rencontrera l’initié dans son fond obscur, sont les visions dramatisées des tendances malsaines que recèle l’être humain sous le seuil de la conscience ordinaire. Les pensées et les attitudes négatives, les pulsions perverses ou bestiales qu’il a nourries laissent en lui des traces qui, durant cette exploration intérieure, deviennent visibles sous des apparences cauchemardesques. L’orgueil et l’égoïsme, par exemple, constituent en l’homme des démons puissants et malfaisants. La purification complète de l’homme s’obtient à l’issue d’une lutte opiniâtre contre ces ennemis du « monde souterrain », car l’initié ne pourra mener à bien sa transmutation tant que subsisteront ces forces maléfiques ancrées dans ses profondeurs, dont l’épuration ou la maîtrise constituent le préalable exigé.

Dans la suite de cette étude, d’autres mythes tirés du Popol Vuh illustreront, sous forme allégorique, certains épisodes de cette aventure intérieure que vivaient les initiés dans le cadre de la tradition initiatique maya.

Le mythe de Sept-Aras et ses fils

Après le déluge qui emporta les effigies en bois, un homme gonflé d’orgueil vivait sur la terre. Son nom, Sept-Aras (Vukub-Cakix), exprimait l’éclat et la brillance ; ses yeux étaient en argent, ses dents en émeraude et d’autres parties de son corps en métaux précieux. En ce temps où le soleil et la lune ne brillaient pas dans toute leur clarté, ce vantard, qui n’aspirait qu’à la grandeur, se gonflait d’être le soleil et la lune. Il avait pour fils deux géants violents et arrogants : Zipacna (« Entasseur de montagnes ») et Cabrakan (« Tremblement de terre ») ; le premier s’employait à élever des montagnes, le second à les démolir.

Sept-Aras et ses fils incarnent en l’homme les facteurs de discorde entre la matière et l’esprit. Sept-Aras figure l’ego, la conscience ordinaire, que l’initiation se donnait pour objectif de dépasser. Zipacna et Cabrakan, équivalents des Titans dans la mythologie grecque, représentent les forces qui veulent n’exister que par elles-mêmes et pour elles-mêmes. Le soleil et la lune que Sept-Aras, dans sa suffisance, prétend remplacer symbolisent les deux sources de lumière appelées à éclairer le ciel intérieur de l’être humain : l’intelligence et la sagesse. L’activité des fils de Sept-Aras, dont l’un érige les montagnes que l’autre démolit, illustre la stérilité des actions humaines titanesques, motivées par l’orgueil mais dépourvues de véritable sens.

Masque de jade

Cœur du Ciel, irrité par l’orgueil de Sept-Aras et de ses fils, chargea les jumeaux Hunahpu et Xbalanque de châtier leur arrogance. Ces derniers affrontèrent Sept-Aras ; ils le blessèrent aux dents et à la mâchoire, mais Sept-Aras arracha le bras d’Hunahpu. Les jumeaux allèrent consulter les divinités père et mère, Xpiyacoc et Xmucane, déguisés en sorciers. Ceux-ci accompagnèrent les solliciteurs jusqu’à la demeure de Sept-Aras, qu’ils trouvèrent à l’agonie. Ils le persuadèrent de se laisser opérer afin de soulager ses souffrances. Ils remplacèrent ses dents étincelantes par des grains de maïs, et enlevèrent de ses yeux le métal précieux. Aussitôt le visage de Sept-Aras s’assombrit. Son éclat, sur lequel il fondait son orgueil, se ternit, ce qui amena sa mort. Le bras de Hunahpu fut récupéré et réimplanté sur son épaule.

Crocodile, l’un des symboles de Zipacna

Zipacna, le « faiseur de montagnes », déjoua une première tentative de Hunahpu et Xbalanque pour l’enfouir dans un fossé, mais les jumeaux lui tendirent un autre piège plus efficace. Alors qu’il cherchait sa subsistance, ils placèrent un crabe artificiel dans une caverne au fond d’un ravin. Zipacna affamé descendit dans cette cavité, et les jumeaux ébranlèrent une montagne proche qui s’effondra sur lui. Son cadavre fut changé en pierre.

Puis Hunahpu et Xbalanque mirent au défi son frère Cabrakan d’aller renverser une haute montagne. En chemin, ils lui donnèrent pour nourriture un oiseau empoisonné. Cabrakan, après l’avoir mangé, perdit ses forces ; ne parvenant pas à déplacer la montagne, il fut ligoté et enterré par les deux héros.

La lutte de Hunahpu et Xbalanque contre Sept-Aras et ses fils prend place sur le terrain intérieur à l’être humain. Elle illustre l’opposition entre la conscience spirituelle et la composante instinctive et égotiste de l’homme. La victoire des héros divins illustre la domination de l’esprit sur les forces obscures de la nature humaine. Le prestige de Sept-Aras ne se fondait que sur sa richesse matérielle et sur son éclat extérieur ; or l’être humain n’est pas abouti si telle est la seule source de sa gloire et de son pouvoir. Quand ses richesses lui sont ôtées, sa puissance se révèle inconsistante. Les fils de Sept-Aras, vaincus, sont tués ou ensevelis sous la terre, les profondeurs obscures de l’être, car une conscience libre et évolutive ne pourrait pas exister sans que le principe divin ne neutralise en l’homme cette force restrictive. Les êtres divins remplacent les dents d’émeraude de Sept-Aras par des grains de maïs ; pour la première fois, ils offrent à l’homme ce symbole de la nourriture divine.

Cet épisode où interviennent Hunahpu et Xbalanque prend place avant le récit qui relate la naissance de ces deux héros. La succession des chapitres du Popol Vuh, en effet, ne suit pas la chronologie des évènements extérieurs, mais l’évolution intérieure de l’homme engagé dans l’initiation.

La descente et la mort dans l’Inframonde

Terrain du jeu de balle à Copan

Xpiyacoc et Xmucane, les divinités père et mère, eurent deux fils, des jumeaux appelés Hun-Hunahpu et Vucub-Hunahpu. Alors que ces derniers jouaient une partie de balle, les souverains de Xibalba, le monde souterrain, irrités par le bruit, leur envoyèrent des chouettes comme messagers pour les défier à ce jeu. Le jeu de balle, qui fut pratiqué sous diverses variantes dans la Mésoamérique, évoque la lutte entre la vie et la mort ; il commémore le soleil qui achève le soir son parcours céleste pour descendre la nuit dans l’Inframonde. Le terrain de jeu figure le plancher qui sépare le monde terrestre des Enfers. L’un des enjeux était que la balle ne touche pas le sol, ce qui irriterait les divinités du monde souterrain.

Hunahpu et VucubHunahpu acceptèrent le défi et suivirent les chouettes, ces oiseaux nocturnes, sur la pente raide menant à l’Inframonde. Après avoir traversé de périlleux cours d’eau, comme la rivière de sang, ils arrivèrent à la résidence des rois de Xibalba, où ils furent maltraités et persécutés, puis sacrifiés et enterrés. À l’image du maïs, dont la graine doit mourir dans la terre pour qu’il puisse pousser et fructifier, Hun-Hunahpu et VucubHunahpu, qui personnifient la conscience de l’initié, doivent descendre et périr dans le monde souterrain, la composante obscure de l’homme, afin qu’une conscience nouvelle puisse renaître.

La naissance des héros divins

Arbre à calebasse

Les rois de Xibalba suspendirent la tête tranchée d’Hun-Hunahpu à un calebassier poussant dans l’Inframonde. Il était presque impossible de la distinguer des fruits de cet arbre. Une jeune princesse appelée Xquiq, fille d’un seigneur de Xibalba, se rendit près de cet arbuste à calebasses. Elle tendit la main vers la tête d’Hun-Hunahpu, qu’elle prenait pour un fruit : la tête cracha alors dans sa main. La salive d’Hun-Hunahpu rendit cette vierge enceinte. Six mois plus tard, son père s’aperçut de son état. Xquiq, malgré ses protestations d’innocence, dut fuir le monde souterrain pour échapper à son exécution. Peu de temps après, elle accoucha de deux jumeaux, Hunahpu et Xbalanque.

Xquiq devant les seigneur de Xibalba

La conscience de l’initié, morte dans l’Inframonde, renait à une vie nouvelle grâce à la semence transmise à une vierge par le biais d’un arbre fruitier. La vierge incarne une dimension de l’âme ignorée de la conscience ordinaire. Cette fille d’un seigneur de Xibalba appartient au monde souterrain et ténébreux, mais elle porte en elle le potentiel propre à créer une vie nouvelle sans perdre sa virginité, c’est-à-dire sa nature incorruptible. Son nom, Xquiq, signifie « Dame Sang », le sang étant dépositaire de la vie. La salive d’Hun-Hunahpu, équivalant au sperme, transmet son essence à ce potentiel de génération. Le calebassier, qui rappelle l’arbre du monde, suggère la remontée à la verticale vers la surface terrestre. Selon l’explication que livre le récit, Xquiq effectue ce mouvement pour fuir la colère de son père, car les règles sociétales du monde souterrain calquent celles de la société maya, qui ne plaisantait pas avec les relations sexuelles illicites ; toute transgression exposait les fautifs à un châtiment sévère. Mais la vraie raison, c’est que ce qui a germé dans l’obscurité doit se révéler au grand jour.

Les jumeaux Hunahpu et Xbalanque incarnent la conscience rénovée de l’initié, apte à affronter les terribles épreuves de l’Inframonde. Le Popol Vuh présente ces héros comme étant des êtres lumineux et accomplis, exempts des péchés qui affectent les humains ordinaires : la convoitise, la colère, l’orgueil, l’envie, la médisance… Tant que l’homme ne s’est pas purgé de ces défauts, il n’est pas en mesure d’agir de concert avec Cœur de Ciel, le dieu inspirateur de ceux qui s’efforcent de vaincre la mort.

Les péripéties des héros dans l’Inframonde

Chauve-souris
Jaguar

Alors que Xbalanque et Hunahpu jouaient à la balle, ils importunèrent eux aussi les seigneurs de Xibalba, lesquels envoyèrent leurs messagers pour les défier à ce jeu. Les jumeaux descendirent dans l’Inframonde en suivant le même chemin que celui où les avaient précédés leur père et leur oncle. À leur tour, ils passèrent par les rivière souterraines, dont la rivière de sang, déjouant en chemin les pièges tendus par les seigneurs de la mort pour tromper les visiteurs imprudents. Ils affrontèrent avec brio une succession d’épreuves symbolisées par le séjour dans la maison des couteaux, la maison du froid, la maison du jaguar et la maison du feu, mais quand les seigneurs de la mort leur imposèrent de passer la nuit dans la maison des chauves-souris, Hunahpu fut décapité par l’une de ces bêtes. Les maitres de Xibalba prirent sa tête pour jouer à la balle avec elle, mais Xbalanque réussit à récupérer la tête et à la rattacher au corps d’Hunahpu.

Les souverains de Xibalba brûlèrent ensuite les jumeaux dans un grand four et broyèrent leurs os calcinés en poussière, qu’ils jetèrent dans la rivière de la mort. Trois jours plus tard, Xbalanque et Hunahpu ressuscitèrent et revinrent vers les seigneurs de la mort, sous l’apparence de deux pauvres orphelins en haillons. Après avoir tué et ressuscité un chien, l’un des deux jumeaux, Xbalanque, réitéra l’expérience sur Hunahpu ; il arracha son cœur et découpa sa tête, puis il le ressuscita. Les deux principaux seigneurs de Xibalba, épatés, demandèrent à vivre les mêmes sensations. Les deux héros les tuèrent, mais ne les ressuscitèrent pas. Les autres démons de Xibalba, terrorisés, jurèrent de ne plus jamais leur causer aucun tort.

De même que le Christ descendit aux Enfers pour vaincre la mort, les héros jumeaux s’engagent dans le monde souterrain, Xibalba, le royaume des morts ; mais à la différence d’Hun-Hunahpu et de VucubHunahpu, leur père et leur oncle qui périrent dans l’Inframonde, ils en ressortent triomphants pour gagner l’immortalité. Un épais chapitre serait nécessaire pour interpréter la signification symbolique des tribulations, qui sont autant d’allégories des épreuves initiatiques qu’ils durent affronter, dans l’Inframonde, dans le but d’assainir cette composante obscure de l’être. On retient néanmoins qu’à aucun moment, ils ne se laissèrent intimider par les terrifiants « seigneurs de la mort ».

Après avoir vaincu et neutralisé les dieux infernaux, Xbalanque et Hunahpu quittèrent l’Inframonde et s’élevèrent dans le Ciel, où l’un devint le Soleil et l’autre la Lune. C’est ainsi que le ciel s’est illuminé sur la surface de la terre, l’image signifiant que la lumière révélée dans le ciel intérieur de l’initié éclaire désormais la totalité de son être.

Valeur du syncrétisme religieux

Tableau dans l’église de San Juan La Laguna, Guatemala

En dépit de l’acharnement des ecclésiastiques zélateurs à éradiquer toute trace de l’ancienne religion maya, un champ de croyances parallèle persista à coexister avec la religion officielle. Les autochtones, tout en se disant chrétiens, continuaient à croire à leurs déités et à révérer leurs lieux sacrés. La campagne d’extirpation finit par marquer le pas. Des prédicateurs catholiques plus éclairés entreprirent d’adapter les apparences du culte chrétien aux formes religieuses préhispaniques. Le recouvrement donna lieu à une sorte de syncrétisme, dans lequel la culture indienne d’origine préserva une partie de son intégrité. Des survivances de l’ancien culte coexistent avec la foi chrétienne dans la culture populaire, les coutumes rurales et les fêtes traditionnelles.

Le Christ et la Vierge Marie furent représenté dans les tableaux avec un faciès propre aux indigènes, les cheveux noirs et la peau colorée. Pour inciter les Indiens à renoncer à leurs divinités, on s’efforça de rendre l’image de la Vierge identique à l’une des déesses qu’ils avaient adorées.

Cette forme de religiosité alimente jusqu’à nos jours une réelle ferveur populaire. En revanche, ce syncrétisme, qui s’en tient aux formes extérieures, conforte les incroyants dans leur conviction que la religion ne serait qu’un opium du peuple, un artifice conçu pour le maintenir dans l’ignorance et la duperie. Il pourra difficilement en être autrement tant que que la dimension symbolique des doctrines religieuses demeurera ignorée.

Ces dernières années, des fragments de textes ont été redécouverts et étudiés. Les anthropologues et les ethnologues ont réalisé des avancées significatives dans l’étude de la religion maya préhispanique. L’essentiel reste toutefois à accomplir : restituer aux mythes anciens, au-delà de leur formulation, leur signification symbolique propre à faire revivre l’esprit qui les a inspirés. Une démarche similaire reste tout autant à effectuer pour les textes bibliques. La condition requise pour qu’à la place d’un syncrétisme superficiel, il soit possible de parler d’une vraie synthèse entre les religions, serait que soit redécouverte l’unité transcendante de leurs doctrines, de leurs mythes et de leur symbolisme.

Le pêcheur et le génie, conte des Mille et une Nuits

Ce récit, extrait du célébrissime recueil des Mille et une Nuits, offre un exemple de la richesse symbolique dont les contes traditionnels étaient porteurs. Son résumé ci-dessous sera suivi de son interprétation.

Un pauvre pêcheur se rendit dès l’aube au bord de la mer, conformément à son habitude. La première fois où il lança son filet, il ramena une carcasse d’âne. La seconde fois, il retira de son filet un panier rempli de gravier. La troisième fois ne lui rapporta que des coquilles, des débris d’os et des tessons de verre. Mais la quatrième fois, il remonta un vase scellé de plomb, portant l’empreinte du sceau de Salomon. Il ouvrit le cachet de plomb ; une fumée s’éleva du vase et donna forme à un gigantesque génie. Ce djinn s’était autrefois rebellé contre Dieu ; pour le châtier, Salomon l’avait emprisonné dans ce vase qu’il ferma d’un couvercle de plomb, sur lequel il imprima son sceau, avant de jeter le vase à la mer. Des siècles d’enfermement avaient à tel point énervé le génie qu’il s’était juré de tuer celui qui le délivrerait. Sitôt libéré, il annonça au pêcheur son intention de le mettre à mort.

Sceau de Salomon

Le pêcheur regretta d’avoir libéré cet ingrat, mais il garda la tête froide. Il mit en doute le fait qu’un djinn si volumineux soit capable de rentrer dans un vase aussi étroit. Le djinn, mis au défi, en donna la démonstration ; il se dissout en fumée et s’insinua dans le vase. Aussitôt, le pêcheur referma l’orifice avec le couvercle de plomb, dont le sceau de Salomon retint le génie prisonnier. Pour fléchir son geôlier, bien décidé à rejeter le vase à la mer, le djinn s’engagea, par un serment solennel, à le rendre riche s’il le libérait. Le pêcheur finit par rouvrir le vase. Quand le djinn eut repris forme, il tint parole ; il conduisit son libérateur près d’un vaste étang, et lui prescrivit de lancer son filet dans ce lac. La pêche donna quatre poissons, un blanc, un bleu, un jaune et un rouge. Le génie conseilla au pêcheur d’aller porter les poissons au sultan. Puis il disparut sous terre.

Le pêcheur alla offrir le résultat de sa pêche au sultan, qui lui fit verser quatre cent dinars. La cuisinière du palais mit à cuire les poissons. Quand elle les retourna dans la poêle, le mur s’ouvrit, et une belle jeune fille en sortit. Elle toucha l’un des poissons de sa baguette et l’interrogea : “ Poisson, poisson, es-tu dans ton devoir ? ” Les quatre poissons levèrent la tête tous ensemble et répondirent : “ Oui, oui ; si vous comptez, nous comptons ; si vous payez vos dettes, nous payons les nôtres ; si vous fuyez, nous vainquons et nous sommes contents ”. Les poissons furent réduits en charbon, et la jeune fille rentra dans le mur qui se referma.

Le vizir, mis au courant, demanda au pêcheur de lui ramener quatre autres de ces poissons, que la cuisinière fit frire. Quand elle les retourna dans la poêle, le vizir assista à la même scène avec la mystérieuse jeune fille. Le sultan, tenu à son tour informé, se fit apporter par le pêcheur quatre autres poissons colorés, que le vizir fit cuire lui-même devant le sultan. Dès qu’il les eut retournés, le mur s’ouvrit, mais cette fois-ci, un géant noir parut. Avec un bâton vert, il toucha l’un des poissons en lui demandant s’il était dans son devoir, et les quatre poissons lui firent la même réponse. Le géant les réduisit en charbon, puis il se retira dans le mur qui se referma.

Le pêcheur guida le sultan jusqu’à l’étang, et dont l’eau limpide laissait voir les poissons colorés. Le sultan, résolu à élucider l’énigme, fit dresser son campement sur place. La nuit venue, il s’éloigna vêtu en homme ordinaire. Ce qu’il découvrit fait l’objet d’un autre conte des Mille et une Nuits, « Le prince aux jambes de marbre ». Il apprendra alors que les poissons colorés avaient été autrefois les habitants d’un pays qui furent métamorphosés par un sortilège : les musulmans en poissons blancs, les parsis en poissons rouges, les chrétiens en poissons bleus, et les juifs en poissons jaunes.

Les eaux où le pêcheur jette ses filets sont les eaux du psychisme. Les quatre fois où il effectue sa pêche correspondent aux quatre niveaux de profondeur que traverse cette exploration de l’âme. Des trois premiers lancers, effectués dans les eaux psychiques d’une propreté douteuse, l’homme ne retire que des déchets, à commencer par ceux de sa nature animale que figure la carcasse d’âne. Les deux essais suivants ne ramènent que de la fange et des détritus. 

En revanche, la quatrième fois, l’homme touche le fond de son âme, dont il extirpe la Puissance vitale que les anciens alchimistes extrayaient de façon intentionnelle. La mémorable image du génie sortant du vase fait allusion à la libération de la force profonde de l’être. Cette énergie élémentaire, que le sceau de Salomon neutralise en la tenant recluse dans le vase, existe à la racine de l’être humain ; elle est enfouie dans les couches profondes de la psyché, assimilées aux fonds marins, et confinée dans le noyau central de l’âme comme dans un container.

Le sceau de Salomon évoque l’Acte divin qui imprime à la Substance primordiale ses formes et ses limites. Rien au monde n’existerait si le Sceau divin ne contraignait cette Puissance universelle à se plier aux déterminations qu’il lui impose. On représente le sceau de Salomon comme une étoile à six branches inscrite dans un cercle, et formée de la superposition de deux triangles inversés.

Les deux triangles entrecroisés symbolisent l’Esprit divin pénétrant la Substance élémentaire pour formater tout ce qui existe dans l’univers que symbolise le cercle. Pour que la figure soit complète, il faudrait inscrire dans l’entrecroisement des triangles le nom de Dieu, qui scelle l’union entre l’Esprit et la Substance. L’âme humaine résulte elle aussi d’un rapport entre sa Matière fondamentale et le Principe divin qui lui donne forme. Briser le sceau de Salomon signifie rompre cet équilibre ; en conséquence, l’âme, déliée de sa rigidité, laisse échapper l’énergie brute qu’elle emprisonnait comme dans un récipient hermétiquement scellé. Toute confrontation avec le “génie”, cette puissance qui réside au fond de la psyché, fait planer une sérieuse menace car elle peut entraîner une crise destructrice de la personnalité. Le conte prête un aspect effroyable à cette réalité substantielle de l’être humain, en raison du pouvoir dévastateur que libère sa force vitale lorsqu’elle se déchaîne, et de la facilité avec laquelle elle résorberait la forme humaine si on la laissait surgir.

Le processus initiatique oblige le candidat à entrer en contact avec cette énergie dissolvante afin de la mettre en œuvre dans le travail sur la forme humaine ; mais pour que la confrontation ne tourne pas au désastre, l’initié doit conserver une vigilance sans faille. L’art alchimique s’employait à libérer cette puissance tout en gardant fermement le contrôle sur son déploiement. Un sujet qui déclencherait en lui cette force aveugle sans être préparé à dominer ses débordements en finirait la victime impuissante. Dans le conte, le pêcheur n’a cédé à aucun mouvement de panique qui lui aurait été fatal. En conservant toute sa lucidité, il déjoue la menace et s’assure de la maîtrise des événements ; le génie, puissant mais manœuvrable, va dès lors le guider dans son cheminement intérieur qui le conduira aux sources de la révélation. L’épreuve affrontée avec succès confère au candidat une vision épurée, l’action de ce facteur décapant ayant pour effet d’assainir le mental et l’entendement. À l’avenir, l’homme n’extraira plus des déchets de ses eaux psychiques ; il puisera dans un foyer salubre l’authentique nourriture spirituelle que figurent les poissons colorés.

Le lac aux eaux poissonneuses désigne l’Âme universelle, la Substance psychique du monde. Cette eau est à l’image du grand Agent subtil, l’Océan fluidique dans lequel baigne l’univers. Quand la conscience atteint une limpidité équivalente à celle de l’Eau divine, elle capte dans l’Âme du monde la sagesse que symbolisent les poissons. À cet effet, le pêcheur se sert de son filet ; cet ustensile formé de cordes et de nœuds reflète la Hiérarchie céleste. Entre la Divinité et la matière inerte, il existe tout un réseau d’intermédiaires, assimilable à un immense filet reliant entre eux ces divers plans. Quand l’intellect humain réussit à manier le filet, c’est-à-dire à assimiler ce lien entre les différents états de conscience, il recueille les poissons, images de la Sagesse contenue dans les Eaux universelles.

L’homme qui réussit à attraper et à « cuisiner” les poissons du lac recueille la Sagesse ainsi que la force régénératrice, inhérentes à ce réservoir de toute vie qu’est l’Eau primordiale. La scène, trois fois répétée, où l’on cuit les poissons fait allusion à l’opération alchimique par laquelle le Feu de l’Esprit débloque la puissance contenue dans cette Eau primordiale, dont il faut rappeler qu’elle réside dans la profondeur de l’âme. Cette libération des forces provoque l’ouverture du mur ; elle délie la rigidité terrestre de la forme humaine pour laisser surgir, sous l’image d’êtres surnaturels, les facultés transcendantes que cette rigidité tenait entravées. L’opération se reproduit à chacun des trois états de conscience progressifs que personnifient les témoins successifs de la scène : la cuisinière, puis le vizir, et enfin le roi.

Les deux premiers niveaux de conscience permettent d’aborder la Force de Vie sous l’aspect avenant d’une jeune fille d’une remarquable beauté. Quand vient le tour du sultan, le sujet passe au niveau d’éveil supérieur ; dès lors, à la belle femme succède le géant noir quelque peu inquiétant. Cette apparition révèle l’âme dans sa profondeur obscure, avec son immense potentiel de force et de fécondité auquel font allusion la couleur noire et la stature imposante de cet homme. Après le côté bienveillant qu’affiche l’âme subtile sous la figure d’une gracieuse jeune fille, cet aspect moins engageant est celui d’une énergie brute, que seul peut affronter sans dommage un initié parvenu au niveau que personnifie le sultan.

La jeune femme, puis le géant noir, touchent les poissons de leur baguette afin d’entrer en contact avec cette puissance qu’ils s’emploient à révéler. Ces deux créatures interrogent les poissons par une brève formule chargée de signification : “Poisson, es-tu dans ton devoir ?” Les poissons confirment d’une seule voix : “Oui ; si vous comptez, nous comptons ; si vous payez vos dettes, nous payons les nôtres ; si vous fuyez, nous vainquons et nous sommes contents”. Ces paroles sibyllines que prononcent les poissons cuits résument une véritable leçon de sagesse : le bénéfice que l’homme tirera de la Force de Vie qui anime le monde sera fonction de l’attitude qu’il adoptera au cours de son existence.

La première formule : “Si vous comptez, nous comptons”, s’applique à l’individu qui “compte”, c’est-à-dire qui mesure et limite ses efforts ; les poissons avertissent cet homme parcimonieux que le bénéfice qu’il obtiendra de la Force de Vie lui sera également compté et limité.

Au niveau supérieur se trouvent les individus concernés par ces paroles : “Si vous payez vos dettes, nous payons les nôtres. À l’homme qui s’acquitte avec justice de ses dettes, en honorant les devoirs qui lui incombent et en s’efforçant de réparer les fautes qu’il aurait commises, les poissons annoncent que la Force de Vie se reconnaîtra débitrice à son égard.

La meilleure des attitudes, celle qui contente les poissons parce qu’elle permet à la Force de Vie de l’emporter, consiste à “fuir” : « Si vous fuyez, nous vainquons et nous sommes contents« . Cette fuite équivaut au “lâcher prise” que préconisent les traditions spirituelles lorsqu’elles recommandent à l’homme de s’abandonner à la Providence. Pour que la Force de Vie triomphe dans l’être humain et qu’elle rayonne sur le monde à travers lui, il faut que l’ego individuel s’efface afin de lui céder le terrain.

Le déploiement de la puissance contenue dans les poissons produit, dans les sphères psychique et spirituelle, des effets comparables en termes de révélation aux phénomènes extraordinaires que décrit le conte. Il ne subsiste plus ensuite des poissons qu’un résidu noirci immangeable. Leur forme vivante devient comme un déchet inutilisable, après que l’énergie qu’elle contenait se soit déployée et consumée. Pour communier une nouvelle fois à cette source de vie, l’homme doit retourner pêcher cet aliment de sagesse dans l’Âme spirituelle du monde, en se servant des filets du Ciel.

Le sultan aura une explication sur les poissons aux quatre couleurs : ils figurent les quatre religions, les poissons blancs désignant les musulmans, les rouges étant les parsis, les bleus les chrétiens, et les jaunes les juifs. Les inspirateurs des Mille et une Nuits regardaient ces quatre religions comme autant de voies vers la sagesse, ce qui dénote un esprit bien éloigné d’un certain sectarisme répandu aussi bien à leur époque qu’à la nôtre. Le maléfice qui change en poissons les représentants des quatre religions réduit la sagesse de ces traditions spirituelles à l’état de potentialité dans l’eau, l’atmosphère psychique du monde. Toute quête initiatique prend néanmoins appui sur l’enseignement que dispense la religion. C’est en « cuisinant » les poissons colorés qu’on extrait la richesse que recèlent ces formes religieuses, dont le potentiel fait accéder la conscience à un état d’éveil supérieur.

Osiris, Seth et Horus

Osiris

La mythologie égyptienne connait la figure centrale d’Osiris, le dieu qui vécut, souffrit et mourut de mort violente, avant de devenir le juge et le sauveur des âmes dans l’autre monde. Osiris fut un roi légendaire qui gouverna le monde avec justesse et sagesse. Il civilisa les hommes et les arracha de leur animalité ; il leur apprit à se nourrir, leur apporta la religion et la loi. Son frère Seth gouvernait une province en son nom. Seth, jaloux d’Osiris, l’assassina par traîtrise et découpa son corps en quatorze morceaux, qu’il dispersa dans tout le pays.

Isis

L’épouse d’Osiris, Isis, réussit toutefois à retrouver les morceaux éparpillés et à reconstituer le corps de son époux, à l’exception de l’organe sexuel qu’un poisson du Nil, le Khat, avait dévoré. Isis essaya par tous les moyens de rendre la vie au corps momifié d’Osiris, mais elle ne parvint à lui insuffler qu’une vitalité réduite. Osiris ne subsistait plus que comme une ombre impuissante au pays des morts, dans le monde souterrain.

Isis réussit néanmoins à remplacer la partie du corps d’Osiris qui lui manquait et à lui transmettre assez de vie pour en recueillir la semence. C’est ainsi que, bien qu’elle ne soit pas parvenue à réanimer le corps reconstitué de son époux, elle put donner naissance à leur fils, Horus, le dieu faucon, l’enfant posthume d’Osiris.

Seth

Quand Horus eut grandi, avec l’appui du dieu Thot, il se fit rendre justice vis-à-vis de Seth devant le Conseil des Dieux. Il obtint pour lui la reconnaissance des prérogatives d’Osiris, son père. Une lutte implacable l’opposa alors à son oncle Seth. Dans le chapitre 112 du Livre des Morts égyptien, Seth prit la forme d’un sanglier noir et parvint à crever l’œil d’Horus, mais ce succès fut temporaire, car le dieu solaire, Râ, vint au secours d’Horus pour l’aider à soigner sa blessure. La lutte se poursuivit, et Horus réussit à castrer Seth. Thot mit fin à la lutte entre Seth et Horus, et rétablit entre eux la concorde et la paix. Horus descendit au pays des morts, où il parvient enfin à réveiller et à réanimer Osiris.

Le mythe d’Osiris revêt des significations sur plusieurs plans.

L’origine du monde

Zagreus mis en pièces par les Titans, d’après un relief de sarcophage

La tragédie d’Osiris s’apparente, dans la mythologie grecque, au meurtre et au démembrement de Zagreus par les Titans. Elle fait allusion au passage de l’Unité première à la divisibilité et à la multiplicité, dont résulte l’existence de tous les êtres existants. La création a pour origine ce « sacrifice » de la Divinité unique, qui auto-limite sa possibilité universelle afin de permettre à tout objet créé d’exister de manière autonome vis-à-vis d’Elle. Les Védas indiens parlent du sacrifice initial de Purusha, l’Esprit universel, qui fut divisé par les dévas (Rig-Véda X, 90) ; de ce premier sacrifice naquirent tous les êtres de la création. Dans la Kabbale hébraïque, l’Univers et tous ses êtres proviennent de la fragmentation de l’Adam Qadmon, « l’Homme Universel » déchu et paralysé, dont tous les êtres de l’Univers sont des parcelles. L’Apocalypse (13, 9) évoque l’Agneau égorgé depuis la création du monde. La tragédie d’Osiris durera tant que durera la chute et la misère du monde terrestre.

Le fait que le sacrifice d’Osiris soit un meurtre revient à la même chose, car Seth, son assassin, est comme tous les autres êtres, issu du Principe unique. C’est Osiris lui-même qui, en l’établissant comme gouverneur en son nom, lui a conféré sa puissance.

Le rassemblement des membres épars d’Osiris, ou de Purusha, pour régénérer leur corps désigne le retour à l’Unité du Principe. La reconstitution de l’Homme cosmique, l’Adam Qadmon, s’opère par la réintégration des êtres dispersés dans l’état primordial « adamique ».

Le juste supplicié

Prométhée enchainé

Osiris présente des similitudes avec des figures de justes suppliciés : Prométhée, Dionysos, le Christ… Le mythe de Prométhée reflète l’histoire d’Osiris dans son rôle d’instructeur de l’humanité et d’innocent sacrifié. Le destin d’agneau sacrifié échoit également au Christ. Comme Osiris, Jésus Christ vécut une existence de chair, enseigna les hommes, subit la trahison et la mort, et ressuscita. Le Juste sacrifié joue le rôle de médiateur entre le monde divin et le monde terrestre et humain. Sa médiation est rendue possible par son incarnation, qui déjà constitue un sacrifice, car l’incarnation d’un Être divin ne peut s’opérer qu’au prix d’une mutilation, ou d’un renoncement à ses facultés divines.

L’état de l’être humain

La situation d’Osiris évoque également celle de l’élément divin en l’homme ; son découpage en morceaux équivaut à la descente de l’Être dans les mondes matériels, et au démembrement de son ancienne harmonie. En conséquence, le corps se sépare de l’esprit, la raison et la sentimentalité tirent chacune de leur côté, et les sentiments eux-mêmes s’éparpillent sous l’impulsion de désirs souvent contradictoires.

Osiris personnifie l’esprit, le Soi, l’être divin présent en l’homme en tant que reflet de l’Esprit divin universel, tandis qu’Isis, son épouse, figure l’âme spirituelle. Dans l’état actuel de l’être humain incarné, le Soi est comme paralysé, réduit à une quasi impuissance, confiné dans le monde souterrain, c’est-à-dire dans les profondeurs obscures de l’être.

Bien que mort et paralysé, Osiris assume dans le monde inférieur le rôle de juger les morts devant la balance de Justice et de Vérité ; l’homme intérieur et ses actes passés sont examinés par le Soi divin, au moyen d’un instrument de mesure impartial. Osiris, le juge intérieur, prend acte du devenir de chacun en fonction de son comportement. Si l’homme est reconnu justifié, il préside à son salut et à sa résurrection depuis son royaume souterrain, la part obscure de l’être humain.

Le jugement du défunt : pesée de son cœur sur la balance, puis comparution devant Osiris

Le processus initiatique

Le processus initiatique en Égypte faisait référence au mythe d’Osiris tué et morcelé, puis reconstitué, et rendu à la vie. L’initié, qui mourait d’une mort rituelle pour renaître, poursuivait pour objectif de réintégrer l’état originel. Le rassemblement des morceaux éparpillés et la reconstitution par Isis du corps d’Osiris signifient la reconstitution de l’unité primordiale et la restauration de l’harmonie dans l’être humain. Dès lors, l’esprit et le corps, la raison et le sentiment, au lieu de se tirailler, marchent dans la même direction par effet de cette renaissance à la vie divine.

Isis, l’âme spirituelle, parvient à retrouver les morceaux épars d’Osiris, à l’exception de son phallus. L’homme possède en lui les éléments susceptibles de recomposer l’être primordial, sauf celui qui lui manque : la virilité transcendante, image du pouvoir créateur divin. C’est par l’initiation qu’il regagnera ce pouvoir créateur perdu. Tant qu’il n’a pas retrouvé cette clé, Osiris, même reconstitué, demeure paralysé et figé par la mort.

Depuis le monde souterrain, Osiris préside la fertilité végétale ; il fait pousser et croître les plantes. En commandant dans la nature le cycle de la mort, de la germination, de la renaissance et de l’éclosion, il assure symboliquement la transmutation de l’homme vers un autre état de conscience. Cette fonction rappelle le symbolisme du grain dans les Mystères d’Éleusis, où le premier stade de la renaissance se comparait avec la germination d’une graine. L’initié s’employait à irriguer et à purifier en lui la partie centrale, assimilée à Osiris, demeurée à l’état rigide et momifié, et qu’il s’agissait de régénérer et de rappeler à la vie.

Osiris triomphant marque la fin de cette phase de l’initiation, appelée les petits Mystères, qui se terminait avec le retour à l’être accompli. L’appellation d’Osiris s’appliquait aux initiés parvenus à cet état de renaissance. Lorsque le pharaon s’identifiait à Osiris ou à Râ, il ne le faisait pas par privilège royal ni dans un but de propagande politique ; il y était autorisé au titre de sa qualification spirituelle, nullement réservée au pharaon, mais néanmoins requise avant de pouvoir tenir le sceptre.

La lutte entre Horus et Seth

Horus

Celui qui consacrera la victoire d’Osiris, c’est le dieu faucon Horus, né d’Isis et d’Osiris après qu’Isis ait reconstitué le corps de son époux. La naissance d’Horus est identique à l’éveil de l’initié. Le chapitre 19 du Livre des Morts égyptien, un texte symbolique qui rapporte le parcours des initiés dans l’ancienne Égypte, parle du rétablissement d’Horus « dans ses droits d’héritage », l’héritage d’Horus évoquant l’état de l’être réintégré dans toutes ses potentialités. Horus, le faucon céleste porteur de lumière, équivaut en Grèce à Apollon. Il symbolise l’être pur, le reflet en l’homme du soleil spirituel, l’Esprit divin. Dans le Livre des Morts, l’initié accompli peut se proclamer comme étant lui-même Horus, car il s’est identifié à l’être intime qui vit de la vérité, à cette part divine en l’homme.

L’antagonisme entre Seth et Horus se lit naïvement comme une lutte entre le méchant et le bon ; Seth a tué Osiris par traîtrise, mais il ne perd rien pour attendre qu’Horus vienne lui régler son compte. En réalité, la complémentarité reste sous-entendue derrière leur opposition. Cette lutte illustre l’interaction des principes à la fois antagonistes et indissociables, qui concourt à l’harmonie du monde.

Le sanglier noir

Seth, l’adversaire d’Horus, est le Seigneur du monde minéral, du squelette, de l’élément solide et figé. Il apparaît comme le principe fixateur qui confère aux choses leur stabilité, le fondement sur lequel l’ordre terrestre est instauré. En même temps, il incarne la faculté génératrice. Dans sa lutte contre Horus, il prend la forme d’un sanglier noir. La couleur noire exprime une réserve de force et de fécondité. Le sanglier détient la puissance vitale et instinctive : il peut désigner la fougue des passions ; au niveau sens cosmologique, il évoque le courant des forces élémentaires.

L’œil d’Horus

L’œil unique d’Horus représente le mouvement inverse de Seth : la résorption des formes dans l’Unité non manifestée, le retour au Principe primordial divin. Dans le combat qui oppose Horus et Seth, chacun cherche à atteindre l’organe par lequel l’autre manifeste sa puissance. Seth crève l’œil d’Horus, amoindrissant ainsi le regard de Dieu sur le monde ; il neutralise la puissance qu’a Horus de résorber les formes, son pouvoir de les rappeler à l’Unité divine.

La victoire de Seth est temporaire, car le dieu solaire, Râ, vient au secours d’Horus pour l’aider à soigner sa blessure. C’est à l’initié que revient le soin de retrouver la vision perdue, de guérir son œil intérieur et de le reconstituer pour rendre la vie à Osiris. Le pharaon, en tant qu’initié ayant réussi dans cette tâche, était représenté portant l’uræus sur son front, l’image de l’œil divin régénéré.

La lutte se poursuit, et Horus réussit à castrer Seth. Le sexe de Seth manifeste la faculté génératrice des formes, le courant de la manifestation et le principe de la matérialisation, qui empêche l’être de s’affranchir du monde des formes. Dans la mythologie grecque, Chronos, identifiable à Saturne ou à Seth, subit lui aussi une émasculation, c’est-à-dire une neutralisation de sa puissance fixatrice.

Thot

La réconciliation des combattants et la paix entre eux est célébrée au chapitre 183 du Livre des Morts. C’est Thot, le dieu de l’initiation aux petits Mystères, qui met fin à la lutte entre Seth et Horus ; c’est à l’issue de cette phase de l’initiation que l’adepte s’affranchit de sa dépendance envers son état formel, et qu’il résout à son niveau l’antagonisme entre la détermination et l’indéterminé.


La véritable alchimie

Bien des choses erronées ont été colportées au sujet de l’alchimie. La vraie alchimie, de nature intérieure et spirituelle, ne manipulait pas des éléments matériels ; elle ne poursuivait pas le but chimérique de fabriquer de l’or par des traitements appliqués aux métaux physiques. Cette discipline, qui s’identifiait avec l’art antique de l’initiation, se donnait pour objectif de métamorphoser l’être humain en opérant sur lui une véritable mutation, au moyen d’une technique spirituelle éprouvée. Le plomb qu’elle ambitionnait de transmuer symbolisait l’âme ordinaire, lourde, opaque et obscure comme ce métal ; les opérations s’appliquaient à la traiter afin de l’élever à des états spirituels assimilés successivement au cuivre, à l’argent et à l’or.

Les entités constituant l’être humain

L’être humain est constitué par un corps, une âme, une conscience et un esprit. Alors que l’âme, étroitement liée à l’enveloppe corporelle, reste dépendante des conditions de l’existence, l’entité spirituelle qu’est l’esprit n’est nullement déterminée par de tels liens. L’esprit supra-individuel existe lui-même en tant que reflet de l’Esprit divin dans l’être humain. Quant à l’entité psychique qu’est l’âme, elle doit être distinguée de la conscience, laquelle s’identifie chez l’être humain ordinaire à l’ego. L’un des objectifs de l’initiation visait à remplacer l’ego ordinaire, étroit et immature, par une conscience supérieure qui révèle directement l’esprit dans l’existence.

La matière de l’œuvre

Les opérations décrites sous une obscurité volontaire par les textes alchimiques cherchaient à ennoblir non pas les métaux physiques, mais l’âme et le corps. Les procédés employée opéraient sur l’âme, regardée comme constituée d’une matière psychique, en vue de transmuter cette matière vile pour la rendre à l’image de la splendeur solaire. L’or équivaut à l’état d’une âme saine devenue comme un miroir nettoyé, apte à refléter la pure Lumière de l’Esprit, ce qu’empêche de faire l’état infirme et déformant du « plomb ». Le facteur appelé à transmuer l’âme est le Feu céleste, de même nature que l’Esprit divin, que les alchimistes appellent le Souffre. L’âme ordinaire, lourde et opaque comme le plomb, reste impénétrable à la Lumière divine. Pour la rendre perméable à la puissance informative du Soufre, sa rigidité doit être vaincue par l’agent dissolvant que les alchimistes appellent le Mercure.

Dissoudre et coaguler

L’alambic, symbole des opérations de dissolution et de coagulation

L’œuvre alchimique se résume dans la formule solve et coagula : « dissous et coagule« . L’âme, étroitement liée au corps, résulte de ce que les alchimistes appellent une coagulation, par laquelle sa substance se trouve figée dans sa forme actuelle. Transmuer l’âme nécessite que sa coagulation soit déliée afin qu’elle devienne une substance malléable, susceptible de revêtir une forme plus noble. L’opération commence par séparer l’âme des liens du corps. Ses rigidités sont ensuite réduites par le Mercure alchimique. La matière « volatilisée » est alors purifiée, puis de nouveau coagulée dans sa nouvelle configuration par les facultés créatrices de l’Esprit, le Soufre alchimique, pour lui imprimer la forme du « métal noble ».

Le Mercure qui dissout et le Souffre qui informe et coagule sont des énergies supra-physiques enfouies dans les profondeurs de l’homme, confinées à la racine de son existence. Les textes hermétiques ne livrent pas les moyens techniques employés pour faire intervenir ces forces transformatrices dans l’être humain, à moins qu’un langage codé ne cache certaines clés ; ils montrent de façon imagée les résultats produits.

L’œuvre alchimique utilise le pouvoir dissolvant du Mercure pour réduire l’âme à un état malléable. L’opération expose le candidat à un risque réel, car elle éveille en lui une force destructrice pour celui qui ne serait ni apte ni préparé à la maîtriser. Quand cette énergie élémentaire surgit dans l’être humain, seul un parfait contrôle intérieur, succédant à une longue discipline, peut préserver l’individu des tragiques conséquences d’un dérapage.

À la suite de la liquéfaction de l’âme, l’acte spirituel, identifié au Soufre, l’Essence créatrice, va émaner du centre de l’être et rayonner sur la psyché, rendue malléable, pour la façonner d’une nouvelle configuration. Le même facteur, le Soufre alchimique, va à nouveau coaguler l’âme dans son nouvel état lumineux. La réunion avec le corps, lui-même spiritualisé, aboutira à stabiliser le résultat.

Les trois grandes phases de l’œuvre

L’œuvre alchimique dans son entier se divise en trois phases : l’œuvre au noir ou « calcination », l’œuvre au blanc ou « petit œuvre », associé symboliquement à la fabrication de l’argent, et l’œuvre au rouge ou « grand œuvre », associé à la transmutation en or.

La transformation de la substance humaine débute par l’étape dite de putréfaction qui constitue l’œuvre au noir, la matière étant « noircie », c’est-à-dire dépouillée de sa forme initiale, afin que l’identification au moi terrestre soit brisée par la mort de l’ego.

L’œuvre au noir se termine lorsque commence l’œuvre au blanc, consistant à achever de purifier la matière pour la spiritualiser. Quand la puissance subtile de l’âme est libérée de sa coagulation, l’âme et le corps sont nettoyés et blanchis de toute impureté jusqu’à ce que la nature transmuée de l’âme soit rendue lumineuse. Sa substance purifiée appelle une nouvelle coagulation ; elle sera figée dans son nouvel état par le pouvoir fixateur du Feu de l’Esprit. La blancheur intégrale s’obtient avec la « production de l’argent » ou de la « Pierre blanche », qui équivaut à la rénovation à la fois de l’âme et de l’organisme physique. L’âme spiritualisée peut s’assembler de nouveau avec le corps.

Après l’œuvre au blanc identifié à l’élaboration symbolique de l’argent, l’œuvre au rouge qui lui succède doit aboutir à la « production de l’or » ; mais les épreuves de cette phase s’annoncent plus dures et plus dangereuses que celles de l’œuvre au blanc. Si le candidat ne renonce pas à en courir le risque, le processus de dissolution et de recoagulation se reproduit avec une tout autre intensité, en augmentant l’action du Mercure et celle du Feu divin. L’argent devient or quand le Soufre céleste cristallise à nouveau la forme psychophysique qu’il a transmuée. Le grand œuvre est accompli quand l’Essence divine se manifeste directement dans la forme humaine renouvelée ; l’éclat de l’Esprit divin peut dès lors rayonner sur le monde par le relais de ce corps glorifié.

La pierre philosophale

La projection de l’esprit dans l’âme ordinaire avait donné vie au moi terrestre. À l’issue de l’œuvre au blanc, la psyché assainie, rendue cristalline, donne naissance à une conscience nouvelle, un reflet plus fidèle du Soi, pour remplacer l’ego. À l’étape supérieure, celle de l’œuvre au rouge, la conscience humaine transmuée atteint le degré de subtilité qui lui permet de s’identifier avec l’esprit. L’âme spiritualisée, révélée à sa pureté originelle, trouve dans l’esprit l’époux qui lui échoit ; la « noce alchimique » peut dès lors s’accomplir. Ce mariage fait renaître l’être humain sous une forme glorieuse et rayonnante, que symbolisait la fameuse pierre philosophale. La personne réalise la finalité de la vie, qui est de refléter l’Esprit divin, afin de rendre sensible sa présence et de lui servir de relais dans le monde qui l’environne.

Le troisième secret de Fatima

À la demande de Mgr da Silva, évêque de Leira, Lucia dos Santos, seule survivante des trois « témoins » des apparitions de Fatima, consigna par écrit les révélations appelées « secrets » que la Vierge Marie, selon ses dires, lui avait délivrées ainsi qu’à ses cousins, Jacinta et Francisco Marto.

Les deux premières parties du message furent aussitôt publiées, mais il n’en fut pas de même pour le troisième secret, qui resta longtemps occulté. Avant de remettre à l’évêque la lettre scellée, contenant son message transcrit en 1944, Sœur Lucia écrivit sur l’enveloppe qu’elle ne pourrait pas être ouverte avant 1960, non par ordre de la Vierge mais parce que, selon son intuition personnelle, on ne pourrait pas comprendre son contenu avant cette date. L’enveloppe scellée fut gardée par l’évêque de Leiria, puis remise en 1957 aux archives secrètes du Saint-Office. Son message attendit l’an 2000 pour être rendu public par le pape Jean-Paul II.

Le contenu des trois « secrets » de Fatima

Jacinta, Francisco et Lucia

La première partie du secret décrit une vision épouvantable de l’enfer, montré comme une mer de feu où les démons et les âmes des pécheurs sont plongés au milieu de cris et de gémissements horribles. Dans le deuxième secret, la Dame prescrit la dévotion à son Cœur immaculé comme moyen d’échapper à ce sort, et aussi pour voir la fin de la première guerre mondiale. Mais, ajoute-t-elle, si on ne cesse d’offenser Dieu, une autre guerre, pire encore, débutera sous le pontificat de Pie XI. Pour empêcher cette guerre, ainsi que les persécutions contre l’Église, il faut consacrer la Russie au Cœur immaculé de Marie. La Russie se convertira alors et on aura la paix ; sinon, elle répandra ses méfaits dans le monde.

Le troisième secret, reçu lors de la troisième apparition de la Vierge le 13 juillet 1917, est rapporté par Sœur Lucia dans le texte suivant :

« Après les deux parties que j’ai déjà exposées, nous avons vu sur le côté gauche de Notre-Dame, un peu plus en hauteur, un Ange avec une épée de feu dans la main gauche; elle scintillait et émettait des flammes qui, semblait-il, devaient incendier le monde; mais elles s’éteignaient au contact de la splendeur qui émanait de la main droite de Notre-Dame en direction de lui ; l’Ange, indiquant la terre avec sa main droite, dit d’une voix forte: Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu : « Quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir quand elles passent devant » un Évêque vêtu de Blanc, « nous avons eu le pressentiment que c’était le Saint-Père ». Divers autres Évêques, Prêtres, religieux et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande Croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne-liège avec leur écorce ; avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu et des flèches ; et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques les Prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs et avec lequel ils irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu.« 

Les problèmes que suscita le troisième secret

Alors que la diffusion des premier et deuxième secrets ne posa pas de problèmes à la papauté, le troisième secret, en revanche, mit le Vatican dans un réel embarras. Les papes Jean XXIII, puis Paul VI, après l’avoir lu, choisirent de le renvoyer aux archives secrètes du Saint-Office sans révéler son contenu. Le rendre public ne pouvait en effet que perturber les esprits ; ce serait nourrir des craintes irrationnelles, et confirmer les prédictions fumeuses qui circulaient au sujet des catastrophes qui allaient s’abattre sur l’Église et sur le monde. Mais le refus de divulguer le troisième secret souleva de vives critiques : pourquoi la haute hiérarchie de l’Église se réserverait-elle le privilège de connaitre une révélation destinée par principe à tous les croyants ? Qu’avait-on à cacher de si embarrassant ? Toute une littérature vit le jour pour spéculer sur le troisième secret de Fatima.

Le pape Jean-Paul II trouva la solution au dilemme. Le 26 juin 2000, il publia le troisième secret tel qu’il avait été transcrit par Lucia. Pour le rendre public, iI attendit la fin du XXe siècle, qui connut bien des tragédies. L’effondrement de l’empire soviétique écartait la menace qu’il faisait peser jusqu’alors. En même temps, Jean-Paul II exploita la similitude entre la vision du Saint-Père tombant blessé à mort, et la tentative d’assassinat manquée dont il fut victime le 13 mai 1981. On pouvait ainsi dissiper les peurs que susciterait le troisième secret en affirmant que les catastrophes qu’il annonçait appartenaient au passé.


Jean-Paul II et Sœur Lucia

Sœur Lucia confirma que l’évêque vêtu de blanc martyrisé dans la vision était le pape, bien que la Vierge n’ait pas précisé de quel pape il s’agissait. Elle soutint également ce qui était la conviction de Jean-Paul II : c’est une main providentielle qui, en déviant la trajectoire du projectile, fit s’arrêter le pape agonisant au seuil de la mort.

Enfin, pour éclairer le texte du troisième secret par une explication convaincante, Jean-Paul II demanda au cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi – et futur pape Benoit XVI -, de rédiger un commentaire théologique sur le message de Fatima.

Le secret qui avait suscité tant de curiosité était loin du sensationnalisme attendu. Son dévoilement dissipa les hypothèses apocalyptiques que l’imaginaire avait édifiées. D’aucuns, déçus par son contenu qui ne ressemblait pas à ce à quoi ils s’attendaient, persistent à soutenir qu’il s’agit d’un faux, en dépit du fait qu’une photographie de la lettre autographe de Lucia fut diffusée sur internet pour preuve de la transparence de la publication.

L’interprétation officielle de l’Église

Le cardinal Sodano indiqua une ligne essentielle pour la compréhension du troisième secret[1] :

« Ce texte constitue une vision prophétique qui ne décrit pas de manière photographique les détails des événements à venir, mais qui résume et condense sur un même arrière-plan des faits qui se répartissent dans le temps en une succession et une durée qui ne sont pas précisées. Par conséquent, la clé de lecture du texte ne peut que revêtir un caractère symbolique. »

C’est dans cet esprit que le cardinal Ratzinger livra l’interprétation officielle du troisième secret dans un commentaire complet et argumenté. Son texte, qui est un modèle de clarté pédagogique et de raisonnement rationnel, mérite d’être lu. À défaut de prétendre ici résumer toutes les explications qu’il développe, on peut relever ci-dessous quelques points intéressants.

Le cardinal avertit en préambule :

Le cardinal Ratzinger

« Celui qui lit le texte du troisième « secret » de Fatima sera probablement déçu ou étonné après toutes les spéculations qui ont été faites. Aucun grand mystère n’est révélé ; le voile de l’avenir n’est pas déchiré. Nous voyons l’Église des martyrs du siècle représentée à travers une scène décrite dans un langage symbolique difficile à déchiffrer. »

Ceux qui attendaient des révélations apocalyptiques excitantes sur la fin du monde et sur le cours futur de l’histoire devront déchanter ; Fatima n’offre pas ce genre de satisfactions à leur curiosité.

Le message de Fatima ne vient pas compléter la Révélation, qui s’est exprimée dans la Bible et qui s’est achevée, de façon complète et définitive, avec le Christ et le Nouveau Testament. Toutefois, même si la Révélation est achevée, il reste à en saisir toute la portée. Le rôle des visions reconnues par l’Église, comme celle de Fatima, est d’offrir une aide, dont l’usage n’est nullement obligatoire, pour éclairer la Révélation dans le contexte de l’époque actuelle.

La prophétie, au sens biblique, ne signifie pas prédire l’avenir, mais expliquer la volonté de Dieu et montrer la voie droite vers l’avenir. L’importance de la prédiction de l’avenir est secondaire. Ce qui est essentiel, c’est de comprendre les signes des temps et de leur trouver la juste réponse. La parole prophétique se veut un avertissement.

Les visions comme celle de Fatima rassemblent, en une image unique, des faits qui se répartissent dans le temps et dans l’espace. Elles ne peuvent, en règle générale, être déchiffrées qu’a posteriori. On ne peut pas attribuer à chaque élément visuel un sens historique concret ; c’est la vision dans son ensemble qui compte.

Les visions de Lourdes, Fatima, etc., ne sont ni une perception physique des « objets » existant dans l’espace extérieur, ni une « vision » intellectuelle sans images, propre aux degrés élevés de la mystique ; il s’agit d’une catégorie intermédiaire : la perception intérieure. Elle implique que l’âme soit rendue capable de voir, avec les sens internes, des choses non-visibles par les sens ordinaires, qui n’appartiennent pas à notre monde sensible. Ceci exige une vigilance intérieure qui, la plupart du temps, fait défaut en raison de la pression des réalités externes. Les enfants sont les destinataires privilégiés de telles visions parce que leur âme est encore peu altérée, et leur capacité intérieure de perception encore peu détériorée.

La « vision intérieure » comporte néanmoins un facteur subjectif, d’autant qu’il s’agit de réalités qui outrepassent notre horizon mental. Le sujet voit avec les modalités représentatives et cognitives qui lui sont accessibles. Il participe, selon ses possibilités et ses limites, à la formation sous mode d’images de ce qui lui apparaît. Lucia dit qu’elle voit « Quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir« . Les limites interne de la vision sont ici indiquées. Dans notre état actuel, dit saint Paul, l’énigme se dévoile seulement comme dans un miroir, d’une manière partielle (1 Corinthiens 13, 12).  Les visions rapportées par les enfants de Fatima ne sont donc jamais de simples photographies, mais une synthèse de l’impulsion venue d’En Haut et des possibilités du sujet qui les perçoit, ce qui explique pourquoi le langage imaginatif de ces visions est un langage symbolique.

Le commentaire du cardinal Ratzinger éclaire ensuite la signification des images symboliques du message.

L’ange à l’épée de feu, qui rappelle des images analogues de l’Apocalypse, représente la menace du jugement qui plane sur le monde. L’homme a lui-même préparé l’épée de feu avec ses inventions destructrices. La force qui peut neutraliser ce pouvoir de destruction tient dans la splendeur de la Vierge, qui appelle à la pénitence. Cette manière de voir souligne la liberté de l’homme : le sens de la vision n’est pas de montrer un film d’anticipation sur un avenir figé de manière immuable, mais, à l’inverse, de mobiliser les forces pour orienter l’avenir dans une direction positive.

La montagne et la ville à moitié en ruines symbolisent le lieu de l’histoire humaine, un lieu de communion et de progrès, mais aussi de dangers et de menaces. Sur la montagne se trouve une grande croix ; par cette croix, la destruction est transmuée en salut.

L’évêque vêtu de blanc, pressenti comme étant le pape, rassemble en fait les différents papes qui ont traversé ce siècle douloureux. Avec d’autres évêques, des prêtres, des religieux et religieuses, et des hommes et femmes de toutes catégories sociales, il chemine au milieu des cadavres et des maisons écroulées de la ville. Ces images présentent en condensé l’histoire du siècle écoulé : un siècle de souffrances et de persécutions de l’Église, avec deux guerres mondiales et beaucoup de guerres locales qui ont rempli sa seconde moitié. La marche de l’Église est montrée comme un chemin de croix parcouru dans ce temps de violences et de destructions.

Des Anges recueillent sous les bras de la croix le sang des martyrs afin d’irriguer les âmes qui s’approchent de Dieu. Le sang des témoins jaillit des bras de la croix parce que leur martyre, accompli en solidarité avec la passion du Christ, est fécond pour la vie future de l’Église. De leurs souffrances provient une force de purification et de renouveau parce qu’elle actualise la souffrance du Christ et son efficacité salvatrice.

Ce qui ressort de ce commentaire, c’est le caractère conditionnel d’une prophétie ; ce qu’elle annonce n’est pas inévitable et peut ne pas se réaliser. La vision de Fatima ne communique pas une prédiction des événements à venir, mais une interprétation de l’histoire selon une orientation spirituelle.

Réflexions sur ce commentaire

Il faut reconnaitre à Joseph Ratzinger, outre son incontestable puissance intellectuelle, une réelle habilité à résoudre les difficultés. Sans son commentaire, il n’aurait probablement pas été possible de rendre public le troisième secret de Fatima, faute pour ce dernier d’apparaitre comme quelque chose de crédible.

Le sanctuaire de Fatima

Le « secret » de Fatima évoque la vocation de l’Église au sacrifice, poussé s’il le faut jusqu’au martyre. La question de savoir si l’institution ecclésiastique s’est réellement conformée à cette vocation relève davantage de l’histoire que de l’interprétation du message prophétique.

L’Église, tout en reconnaissant certaines apparitions de la Vierge, n’érige pas pour obligation de croire à leur réalité. Le cardinal remet à leur place le message qu’elles dispensent : celle d’un éclairage facultatif, qui peut aider à comprendre les signes du temps à la lumière de la foi. Cette précision s’avère être bienvenue, car la réalité des apparitions mariales ne fait pas l’unanimité chez les croyants.

De surcroit, la tonalité du troisième message de Fatima ne ressemble pas à celle des deux premiers. Néanmoins, Joseph Ratzinger, en appliquant au troisième secret un décryptage symbolique cohérent, parvient à en extraire des enseignements convaincants. Il y a lieu de se demander quelle peut être la source de ce message.

Interprétation complémentaire

Selon mon interprétation, la vision décrite dans le troisième secret de Fatima relève de ce qu’on appelle un « rêve éveillé ». Il s’agit un phénomène très rare, conditionné par un état d’âme équivalent à celui dans lequel les visionnaires ont perçu les images de la Vierge. À la capacité de voir par la « vision intérieure », propre à des âmes « infantiles » aux capacités de perception peu altérées, s’ajoutent une grande disponibilité que favorisent en général des périodes de solitude prolongées, ainsi qu’une totale absence de doute et de frein critique, liée à une certaine ingénuité ainsi qu’à un très faible niveau d’instruction.

Chacun de nous, pour peu qu’il y soit attentif, peut recevoir dans son sommeil des « rêves de visions » chargés de messages symboliques, bien qu’ils ne produisent pas un impact comparable à celui d’un rêve éveillé. Les rêves sont de valeur très inégale ; les anciens Grecs disaient qu’ils étaient soit « fils de Zeus », soit « fils de la terre ». Le premier cas signifie qu’ils sont inspirés de l’esprit – ce qui n’est pas la majorité des rêves –, alors que dans le second cas, ils reflètent des impulsions du psychisme conscient ou inconscient.

Lorsqu’il s’agit d’une inspiration d’En-haut, celle-ci prend forme dans l’âme du « rêveur », où elle s’habille de formes imagées, inspirées par les croyances religieuses du sujet et par les représentations dont il est imprégné.

Pour confirmer la valeur symbolique du « troisième secret » de Fatima, on peut y apporter les interprétations supplémentaires suivantes.

L’évêque en blanc, ou le pape, et ses fidèles sont tués par des armes à feu et par des flèches. Il s’agit donc d’une vision intemporelle qui ne se limite pas au XXe siècle, mais qui s’étend aux époques bien antérieures où les armes à feu étaient inconnues, et sans doute aussi aux temps à venir. Le problème posé reste le même en quelque siècle que ce soit.

L’évêque vêtu de blanc ne désigne pas seulement le pape, ni même l’ensemble des papes qui se sont succédé, mais l’esprit de l’Église, dont la vocation est de s’élever au-dessus des passions terrestres qui ensanglantent le monde. En refusant de se compromettre avec les puissances de ce monde, l’Église s’expose à vivre des situations difficiles qui peuvent la conduire, dans les cas extrêmes, jusqu’au martyre plutôt qu’à la compromission. L’exemple est donné par le sacrifice du Christ, qui a transmué le mal en bénédiction.

Les énergies destructrices n’agitent pas seulement le monde extérieur, mais aussi l’intérieur de l’homme, son être psychique. Le croyant doit refuser toute compromission avec ces puissances de ce monde et gravir la pente afin de s’élever jusqu’au « sommet de la montagne », c’est-à-dire sur un plan de conscience supérieur, pour s’approcher de la grande Croix, le point central de l’être humain où la volonté divine s’accomplit.

La Croix plantée au sommet de la montagne est en troncs bruts, « comme s’ils étaient en chêne-liège avec leur écorce ». Le bois brut, presque vivant, symbolise la substance de l’âme. La croix salvatrice n’est donc pas une chose inerte mais un agent vivant. C’est dans son âme que le croyant doit trouver cet opérateur propre à transmuer les énergies destructrices en forces spirituelles vivifiantes.


[1] Communication prononcée le cardinal Angelo Sodano, Secrétaire d’État, le 13 mai 2000 à la fin de la concélébration eucharistique présidée par Jean-Paul II à Fatima

L’Épiphanie et la galette des rois

La fête chrétienne de l’Épiphanie, qui a lieu le 6 janvier, célèbre la visite des rois-mages venus rendre hommage au Messie nouveau-né. À cette occasion, il est de coutume en France de partager la galette des rois contenant une fève ; celui ou celle qui trouve la fève est appelé(e) le « roi » ou la « reine ». Cet usage que l’on croit n’être, comme bien d’autres, qu’un simple amusement festif, nous relie en réalité à un lointain passé, chargé de valeurs profondes.


À l’origine, le mot Épiphanie signifie « manifestation », « apparition » ou « vue d’en haut ». Dans l’antiquité, elle constituait le plus haut degré des Mystères initiatiques, qui s’achevaient par cette révélation suprême ; l’Épiphanie élevait l’initié au rang d’Épopte, ou de voyant par excellence, admis à contempler les lumières divines. L’Épopte d’Éleusis ou d’Hiérapolis était regardé comme « le premier des hommes, le favori des Dieux, le possesseur des trésors célestes et de la vertu sublime » (cf. Fabre d’Olivet, Les Vers dorés de Pythagore, L’âge d’homme, p. 324-325). La galette de l’Épiphanie, sans prétendre reproduire ce stade suprême de l’initiation, remémore cette révélation à l’initié de sa propre nature céleste et lumineuse.

Le produit élaboré qu’est la galette symbolise l’être humain qui a été travaillé par l’initiation, à l’issue d’une longue succession d’efforts soutenus. On rejoint le symbolisme de la terre labourée et semée, pour donner le blé. Le blé est ensuite récolté, battu, broyé en farine, laquelle est pétrie pour donner une pâte qui sera cuite au four… L’être humain, transmué par ces opérations symboliques, devient mur pour découvrir le germe divin présent en lui.

La galette des rois n’a de signification que par sa fève, assimilée au « petit Jésus » que les rois-mages sont venus honorer. La fève, le « petit roi » enfoui dans sa matrice, la pâte, représente le ferment divin, le Christ ou l’esprit enclos dans l’être humain. Elle figure le soleil caché, la lumière à l’état embryonnaire, qui porte l’espoir d’une renaissance et d’une croissance intérieure. L’ancienne initiation avait pour objectif de révéler à l’initié le Principe christique lumineux, présent en l’homme.

Le convive qui gagne la fève atteint symboliquement ce résultat. Il se voit alors poser sur sa tête la couronne royale, ce qui fait de lui l’équivalent de l’initié. Il devient le « roi-mage » ou le « roi-prêtre », porteur du Principe christique, le vecteur sur Terre de l’énergie divine, et il aura alors pour charge de révéler aux autres participants cet état de conscience supérieur.


Le cérémonial se conclut quand le « roi » invite les convives à « boire un coup » ; le rite initiatique de la communion, commencé sous l’espèce solide avec le pain ou la galette, se poursuit et s’accomplit sous l’espèce liquide, le cidre ou le vin. Cet autre produit du travail de l’homme, après la pâte travaillée et cuite, consacre l’étape suivante dans la transmutation de l’être humain.

Mythes et symboles

Héraclès devant Eurysthée après avoir capturé Cerbère, le chien à trois têtes


Études et explications des anciens mythes et des symboles traditionnels.

================================================================

Si vous souhaitez voir des explications sur un mythe ou sur un symbole en particulier, veuillez laisser un message ci-dessous.

Pascal Bancourt - Écrivain