Peut-on décrypter Nostradamus ?

Pour poser d’emblée les limites de mon propos, je ne compte pas entreprendre une tâche aussi chronophage que déchiffrer les prédictions de Nostradamus. Comprendre la signification de ces quatrains formulés en des termes obscurs, sans lien apparent les uns avec les autres, n’est pas chose des plus faciles.

Les interprètes sont loin d’être d’accord entre eux, et leurs efforts pour décrypter ces écrits énigmatiques n’aboutissent en général qu’à échafauder des hypothèses hasardeuses. Lorsqu’ils croient y détecter des évènements passés, leurs explications restent parfois sujettes à contestations, et lorsqu’ils se risquent à prévoir des évènements futurs, ils trouvent rarement, voire jamais, confirmation. Il y a lieu de se demander si les résultats aléatoires auxquels on risque d’aboutir méritent que l’on consacre à cette recherche tant de temps et d’efforts.

Néanmoins, si des chercheurs opiniâtres veulent s’atteler à cette tâche, il parait souhaitable d’émettre à leur intention quelques indications susceptibles de les guider dans leur démarche, ou du moins de leur éviter de s’égarer.

Qui était Nostradamus ?

Michel de Notre Dame dit Nostradamus, médecin né en 1503 à Saint-Rémi en Provence et mort à Salon en 1566, déploya une réelle efficacité en guérissant les épidémies qui affligeaient la Provence. Sa célébrité tient toutefois aux prédictions qu’il rédigea en vers dans un style énigmatique. Le recueil de quatrains, qu’il publia en sept Centuries à Lyon, en 1555, obtint un réel succès, au point que certains ont parlé de lui comme d’un prophète. Il fut comblé de biens et d’honneurs par Catherine de Médicis et par Charles IX. Sa réputation de devin ne dura pas uniquement de son vivant ; elle a traversé les siècles et continue à intriguer de nos jours.

Les sceptiques ne virent en lui qu’un charlatan qui exploita la crédulité des rois comme celle du peuple. Néanmoins, de fréquentes coïncidences plaident pour la réalité de ses visions de l’avenir. Présenter le sujet de façon à n’y voir que charlatanisme et duperie est un moyen facile d’écarter tout ce qui contrarie un parti pris rationaliste.

Nostradamus, devin ou prophète ?

Le mot de « prophéties », dans son sens exact, ne saurait s’appliquer qu’aux révélations contenues dans les Livres sacrés, et qui proviennent d’une inspiration d’ordre spirituel ; dans tout autre cas, son emploi est un abus de langage, et le seul mot qui convienne alors est celui de « prédictions »[1]. Une prophétie authentique n’est d’ailleurs pas nécessairement une prédiction, mais avant tout une vision ou une révélation ; elle n’a pas pour objectif principal de prédire l’avenir, mais souvent d’alerter les hommes sur les effets de leur conduite.

Nostradamus ne pratiquait pas l’astrologie ; il témoignait même un complet mépris à l’encontre des astrologues de son temps. Au début de ses Centuries, il parle d’un trépied d’airain, ce qui suggère un lien avec quelques opérations magiques. Il est probable qu’il a eu connaissance de certaines sciences traditionnelles efficaces, bien qu’elles n’aient pas été d’un niveau si élevé qu’on soit autorisé à parler de prophétie. Pour que ses textes obscurs donnent lieu à des visions claires, il faudrait leur appliquer les même procédés de divination, qui de nos jours sont complètement perdus, de sorte qu’on ne saurait recommander à quiconque de se fourvoyer dans une démarche de cet ordre.

Peut-on prédire l’avenir ?

Un voyant, fût-il doté du don le plus indéniable, ne peut jamais garantir la certitude de ses prédictions tant que la volonté humaine reste un tant soit peu libre de les modifier. Soutenir que les évènements sont dictés à l’avance par un destin incontournable reviendrait à nier le libre arbitre et la liberté humaine. Un phénomène ne peut être tenu pour inéluctable que dans la mesure où l’homme n’a aucune emprise sur lui, par exemple : un tsunami, un tremblement de terre, le décès imminent d’une personne atteinte d’une maladie mortelle à un stade où l’état actuel de la médecine ne permet plus de la sauver…

Le voyant ne peut percevoir la plupart des évènements futurs qu’à l’état de potentialité, et non tels qu’ils doivent se dérouler avec exactitude. Les prédictions de Nostradamus peuvent aussi bien se réaliser qu’elles pourront ne jamais se concrétiser, ce qui explique qu’elles soient formulées en des termes obscurs. Les juxtapositions de mots, de phrases avec des verbes à l’infinitif, laissent l’impression de visions furtives, de situations imprécises se rapportant à un avenir mal déterminé quant à la date et à l’ordre de succession des événements. Le parti pris de rendre les sentences énigmatiques ne tient pas tant à un souci d’empêcher que leur accomplissement soit contrarié qu’à l’impossibilité de restituer, par des images et des indications trop précises, des visions qui ne s’incarnent pas encore à une époque et dans un contexte clairement définis. Nostradamus ne peut s’éclaircir qu’a posteriori, après que les événements se sont réalisés.

Pour donner un exemple, Nostradamus prédit qu’un empereur naîtra près de l’Italie, que son règne coûtera cher à la France, et que les siens le lâcheront en l’accusant d’avoir trop versé le sang (Centurie I – Quatrain 60) :

Un Empereur naistra pres d’Italie, 

Qui à l’Empire sera vendu bien cher,

Diront avec quels gens il se ralie,

Qu’on trouvera moins prince que boucher.

Une autre prédiction relative à Napoléon (Centurie VIII – Quatrain 57) annonce qu’au sortir d’une période de calamités pour l’Église, ce même empereur s’alliera au clergé, qu’il comblera de faveurs :

De soldat simple parviendra à l’empire,

De robe courte parviendra à la longue;

aillant aux armes, en l’Église au plus pire,

Traiter les prêtres comme l’eau fait l’éponge.

Le règne de Napoléon n’avait cependant rien d’inéluctable au moment où s’est déclenchée la Révolution française. Si Louis XVI avait eu la bonne inspiration de suivre la voie des réformes, à laquelle il avait commencé par adhérer, sa popularité serait demeurée intacte, et il aurait épargné à la France le règne de fer que lui imposa un général arriviste quand les circonstances lui devinrent favorables. Les deux quatrains précédents auraient alors été voués à demeurer à jamais indéchiffrables.

Les sceptiques diront que Nostradamus s’en tire à bon compte, puisque tant que ses élucubrations n’ont pas trouvé leur concrétisation, elles demeurent dans les limbes jusqu’à ce que la fortune ou le hasard leur offre l’occasion de coïncider avec des évènements réels. On ne peut leur dénier le droit de préférer cette explication, qui coupe court à toutes les interrogations.

L’indication de certains noms propres

On trouve parfois, dans les Centuries, la mention d’une ville, d’un lieu ou d’un personnage. Ces indications doivent être prises avec la plus grande prudence. Les noms propres ont souvent donné lieu à des interprétations fantaisistes plus que contestables, à l’exemple celle qui, dans le quatrain 68 de la IVe Centurie, a conduit certains à reconnaitre Hitler dans Hister, qui en réalité est le nom latin du Danube :

En lieu bien proche non esloigné de Venus.

Les deux plus grans de l’Asie et d’Affrique,

Du Rhyn et Hister qu’on dira sont venus,

Cris, pleurs a Malte et costé Ligustique.

Les rares fois où Nostradamus annonce des événements en indiquant des noms ne signifie pas que le personnage impliqué portera ce même nom. Dans une pièce de théâtre, les acteurs appelés à incarner les personnages ne sont pas désignés à l’avance ; on les choisit le moment venu en fonction de leurs aptitudes à interpréter ces rôles. Lorsqu’il s’agit d’événements, les rôles sont fixés, et quelquefois les noms symboliques, mais pas les personnes. C’est au fur et à mesure de leur évolution que les individus se mettent dans la situation de jouer tel ou tel rôle. Inconsciemment ils s’y sont en quelque sorte préparés[2]. Les êtres prédisposés à jouer ce rôle se manifestent en fonction des circonstances, dans la mesure où celles-ci favorisent la production de l’évènement.

Sources d’erreurs les plus fréquentes

Les interprétations plus ou moins extravagantes auxquelles ont donné lieu les Centuries de Nostradamus sont innombrables. Il y a lieu de se méfier des lectures tendancieuses pour lesquelles l’imagination ou la suggestion jouent le rôle principal, car on peut faire dire ce qu’on veut à ces prédictions qui semblent applicables à toutes sortes de situations.

Les interprètes tendent à attribuer une importance excessive à des évènements et à des personnages contemporains qui les touchent personnellement, alors qu’ils paraitraient insignifiants à quelques siècles de distance, que ce soit dans le passé ou dans l’avenir. Il est douteux que la victoire électorale de tel ou tel candidat aux élections présidentielles américaines ou françaises au XXe ou au XXIe siècle ait été jugée importante par un homme du XVIe siècle.

Les Centuries de Nostradamus ne doivent pas être mises sur le même plan que les écrits prophétiques comme l’Apocalypse. Le niveau d’inspiration de ces deux textes n’a rien de comparable, car les visions que rapporte saint Jean dans l’Apocalypse ne sont pas une annonce d’évènements politiques passés ou à venir. Il serait vain de chercher à retrouver dans Nostradamus des thèmes comme la Bête, l’Antéchrist, un règne de mille ans, ou un peuple assimilable à Gog et Magog… L’Antéchrist dont parle l’Apocalypse est un principe métaphysique et non un personnage réel, comme le serait un supposé Antéchrist nazi, communiste ou islamiste, ou un Antéchrist russe ou asiatique qui devrait envahir l’Europe…

Une autre source d’égarement consiste à rapprocher les Centuries avec des prédictions dont la source et l’authenticité paraissent bien douteuses, à l’exemple de celles qui annoncent la venue du « Grand Monarque », dans lequel elles voient un futur roi de France promis à une gloire nationale et internationale… D’autres prédictions de ce genre, comme la célèbre « prophétie des papes » ou « prophétie de saint Malachie », doivent être considérées comme suspectes, même si les interprètes de cette dernière réussissent toujours à trouver une explication plus ou moins forcée aux devises qu’elle affecte à chacun des papes qu’elle dénombre. La plupart de ces prédictions qui circulent sont si confuses et si vagues qu’on peut y découvrir à peu près tout ce qu’on veut, comme on prétend le détecter également dans Nostradamus.

Pour les chercheurs qui ne seront pas découragés par ces mises en garde, il reste à souhaiter bon courage et bonne inspiration pour entrer dans l’esprit de ce texte sibyllin, et pour parvenir à lui trouver des clés de lecture convaincantes.


[1] René Guénon, Le règne de la quantité et les signe des temps, Gallimard, NRF, Paris, 1970, p. 337.

[2] Omraam Mikhaël Aïvanhov, La Bible, miroir de la création, tome 2, Prosveta, 2015, p. 326.

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Pascal Bancourt - Écrivain