Cosmologie et mythes des Mayas

Vue en hauteur du site de Tikal au Guatemala

L’ancienne civilisation maya, dont les ruines visibles en Amérique centrale impressionnent tant les visiteurs, suscite, en même temps que le respect pour un passé brillant, le sentiment d’une énigme inexpliquée. Les vestiges de ce monde disparu montrent des signes d’une maturité et d’un savoir authentiques. En revanche, ce que nous croyons savoir de la religion polythéiste et de la mythologie des Mayas incite certains de nos contemporains, qui ne comprennent pas le sens symbolique de ces mythes, à ne voir en ceux-ci que le produit de peurs névrotiques doublées d’une naïveté confinant à la puérilité. On se trouve dès lors en présence d’une contradiction, car on ne bâtit pas une civilisation avancée et raffinée sur la crainte et la superstition.

Un épais volume, voire plusieurs ouvrages, ne suffiraient pas à épuiser les multiples aspects de la question. Cette étude se borne à proposer un éclairage à la réflexion et à suggérer une voie de recherches à celles et ceux que le sujet intéresse. Il s’agit moins d’érudition que de comprendre l’esprit d’un monde ancien, ce que ne favorisent pas l’étroitesse et l’insuffisance des conceptions qui dominent à notre époque.

Grandeur et déclin de la civilisation maya

L’existence de cette civilisation est attestée dès 1500 av. J.-C., voire 2000 av. J.-C. selon certains archéologues. Avant qu’elle ne se désagrège au Xe siècle ap. J.-C., elle a laissé des traces de son génie dans son architecture, ses créations artistiques et ses écrits. Elle développait des calculs mathématiques complexes, applicables notamment à l’astronomie.

Stèle à Copan, Honduras

L’unité organique du monde maya tenait moins au pouvoir centralisateur des monarques qu’à l’autorité intellectuelle et spirituelle de la classe sacerdotale savante. Les prêtres, gardiens du savoir, assuraient l’éducation des autres classes. En fonction du calendrier sacré, ils géraient le temps des évènements publics, les rites, les fêtes, les cérémonies… Ils connaissaient l’écriture, les remèdes aux maladies, et étaient les gardiens de la mémoire collective.

Ce que l’on sait moins, c’est que l’élite sacerdotale maya, comme celle de la plupart des civilisations anciennes, possédait une connaissance de l’être humain que le monde moderne a perdue, mais dont les textes sacrés, quand on parvient à les décrypter, portent témoignage et laissent des indices. Cette science ne se bornait pas à un savoir théorique ; une technique spirituelle, appelée l’initiation, opérait sur l’individu initié une véritable transmutation propre à façonner un homme accompli.

Le déclin de la civilisation maya s’amorce à partir du moment, qu’il nous est impossible de dater, où le niveau de l’élite intellectuelle s’est dégradé jusqu’à perdre de vue la signification subtile de ses mythes. Les divinités du culte polythéiste ne furent plus regardées comme des allégories dont il fallait comprendre le sens symbolique, mais comme des êtres puissants guère plus matures que les humains. Au dernier degré de sa décadence, la religion fut réduite à l’état de superstition populaire et d’instrument de domination politique. Alors qu’initialement offrir son sang aux dieux symbolisait la volonté de sublimer sa propre force vitale, cet acte rituel, pris à la lettre, donna lieu à des sacrifices sanguinaires sous prétexte de se concilier des divinités voraces, en réalité pour tenir le peuple dans l’intimidation et l’ignorance.

Édifice sur le site de Copan, Honduras

Les abus finirent toutefois par trouver leur limite. Le roi Waxaklahun Ubah K’awiil (« Roi 18 Lapins »), siégeant à Copan, faisait croire à ses sujets que le soleil se levait chaque matin grâce au rituel qu’il célébrait quotidiennement, jusqu’au jour où ses opposants politiques convainquirent même les illettrés que ces fadaises n’étaient que du bluff. Une révolte populaire renversa le souverain, qui fut exécuté. La fonction royale, autrefois parée d’un prestige surnaturel, devint à ce point insécure et discréditée qu’elle ne suscita plus les convoitises.

Ruines sur le site de Copan

Les changements climatiques, la sécheresse, la surpopulation et la malnutrition, auxquelles on attribue la chute de la civilisation maya, doivent plutôt être regardées comme des causes incidentes. Alors que l’unité gouvernementale des peuples mayas s’était morcelée en petits royaumes en guerre les uns contre les autres, la société maya et ses dirigeants décadents ne furent plus en mesure de s’adapter à des perturbations auxquelles, en d’autres temps, ils auraient probablement su faire face. Les grands sites architecturaux furent abandonnés, et plusieurs des techniques et des arts, comme la poterie, se perdirent.

L’une des grandes tragédies de l’histoire du Nouveau Monde, en sus des massacres perpétrés par les conquistadors espagnols, fut la destruction par ceux-ci des livres hiéroglyphiques mayas. Toute une mémoire écrite fut livrée aux flammes afin de « purger » les indigènes de leur religion traditionnelle. Des textes anciens ont cependant survécu au carnage. Parmi eux, le Popol Vuh nous offre un témoignage capital sur la mythologie et l’intellectualité des anciens Mayas.

Un témoignage essentiel : le Popol Vuh

La destruction de leurs livres hiéroglyphiques incita les scribes quichés à préserver ce qu’ils pouvaient de leur héritage culturel et spirituel. À cet effet, ils transcrivirent avec l’écriture européenne, dans la langue maya des Quichés, des livres anciens porteurs de leurs mythes et de leur doctrine, dont le fameux Popol Vuh. Ces manuscrits furent gardés secrets par les indigènes, soucieux de les préserver du fanatisme destructeur de certains membres du clergé catholique.

Deux siècles après la conquête, un prêtre espagnol appelé Francisco Ximénez, curé de Chichicastenango au Guatemala, accéda au Popol Vuh. Grâce à sa connaissance des coutumes et des langues locales, acquises pour avoir vécu dans les communautés mayas, il gagna la confiance des anciens ; il sut les convaincre de lui prêter le manuscrit pour en faire une copie. Il transcrivit le texte quiché du Popol Vuh, et le doubla d’une traduction en espagnol.

Le nom « Popol Vuh » s’interprète comme signifiant « registre de la communauté ». La première partie est une pure mythologie, avant d’évoluer progressivement vers une narration historique dans laquelle il est difficile de discriminer entre le mythe héroïque et l’histoire réelle.

La première approche du Popol Vuh produit souvent un effet déroutant, consécutif à l’expression d’une pensée et d’une vision étrangères à la mentalité contemporaine. Par exemple, on y voit souvent des redites récapitulant, en ordre inverse, ce qui a été précédemment énoncé. L’objectif du procédé n’est pas de désorienter le lecteur, mais d’élever son regard à une vision d’ensemble, plus apte à saisir et à éclairer certaines vérités. Quand on surmonte les difficultés que présente cet ouvrage, on se prend à gouter la poésie et la magie du texte. Et lorsqu’on lui applique certaines clés de lecture propres à scruter sa signification symbolique, on entrevoit des choses intrigantes sur les connaissances que détenait ce monde ancien.

Un mode de pensée symbolique

Image extraite du Codex de Dresde

Bartolomé de las Casas se disait impressionné par l’habileté et la technique d’écriture des livres hiéroglyphiques des Mayas, dont les figures et les caractères avec lesquels ils étaient écrits leur permettaient de signifier avec une grande subtilité tout ce qu’ils désiraient. Les glyphes mayas sont en partie phonétiques et en partie idéographiques, un glyphe exprimant un concept entier, d’une valeur essentiellement symbolique. Quand les anciens Mayas méditaient sur ces écrits, leur entendement s’ouvrait et leur conscience accédaient à une vision élargie.

Les mythes sacrées doivent se comprendre au-delà d’une lecture littérale, selon leur signification allégorique. Il est de l’essence du langage symbolique de ne pas se réduire à un sens systématique ; le rôle des symboles est de servir de support à des conceptions dont les possibilités d’extension sont illimitées. La pensée rationnelle des modernes cherche la précision ; mais elle atteint cet objectif au prix d’une vision réductrice des concepts qu’elle manipule. La pensée symbolique, à l’inverse, suggère, plus qu’elle ne circonscrit, des idées métaphysiques que le langage discursif ne peut exprimer sans réduire ni dénaturer. Ceci explique notamment que les noms des divinités et des héros mythiques donnent lieu à plusieurs traductions, car leur caractère symbolique fait qu’il est impossible d’en restituer une transcription précise et unique.

Cette vision symbolique du monde se traduisait dans les cultes dits polythéistes. Pour rendre justice à l’intellectualité des anciennes civilisations, il serait de bon ton de ne pas prendre à la lettre l’expression de leurs mythes, et de chercher à comprendre leur sens allégorique.

Les trois mondes

Dans la cosmologie maya, comme dans à la plupart des cosmologies de la terre, le monde s’étend sur trois niveaux ; l’étage supérieur comprend le Ciel ou le Supramonde, le plan terrestre englobe la Terre des vivants, tandis qu’au niveau inférieur se trouve l’Inframonde souterrain et ténébreux, le royaume des morts, appelé Xibalba par les Mayas.

Dans leur signification symbolique, le Supramonde céleste évoque la composante lumineuse de l’être humain, ainsi que les états de conscience supérieurs à la conscience terrestre ordinaire, tandis que l’Inframonde souterrain désigne les états de conscience inférieurs, en même temps que la composante obscure de l’être humain. Cet Inframonde, assimilé à la racine ténébreuse de l’être, ne se réduit pas au concept moderne, bien trop restreint, de l’inconscient freudien.

Seigneur de Xibalba

Le sens originel du nom Xibalba exprime ce qui est caché aux hommes, et qui suscite la crainte et l’effroi ; il recoupe ce que d’autres mythologies appellent le Schéol, l’Hadès ou l’Enfer. L’Inframonde souterrain est le lieu où reposent les morts, c’est-à-dire les parties mortes de l’être humain. Le Popol Vuh le décrit comme étant un lieu cauchemardesque, la demeure des esprits mauvais et des démons. Les seigneurs de la mort qui règnent sur cet Inframonde diffusent les maladies et les malheurs ; ce sont les fauteurs de querelles, les tentateurs du péché et de la violence, les maîtres de la tromperie. Cette composante obscure de l’être humain recèle en effet une forte charge de déchets et d’impuretés psychiques. Elle abrite également les tendances impulsives qui poussent l’individu, souvent de façon inconsciente, à commettre des fautes, parfois des crimes.

L’Inframonde a été représenté comme un espace aquatique. L’eau qui donne la vie vient du ciel avec la pluie, mais aussi d’en dessous de la terre, ce qui associe l’Inframonde au siège de la fertilité. Ce lieu obscur de la mort, en sus de son aspect négatif, est également perçu comme le ventre de la terre pourvoyeur de vie, de même que le ventre d’une femme permet de donner naissance à des êtres humains.

L’arbre à kapok, site de Los Amates, Guatemala

L’arbre à kapok, l’arbre sacré des Mayas, figure l’axe reliant entre eux les trois mondes. Au point de vue initiatique, l’être humain aura à s’identifier avec ce lien entre les états célestes et infernaux. Tout homme possède virtuellement en lui cette identification, que le candidat à l’initiation devra rendre réelle afin de pouvoir s’élever vers les Cieux et de rendre possible son épanouissement total.

Grotte de Candelaria, Guatemala,
où les Mayas situaient l’accès à l’Inframonde

Dès la préhistoire, les peuples ont associé symboliquement les montagnes à l’ascension vers le ciel, et les grottes à la descente dans le monde souterrain. Dans les régions sans relief,les Mayas ont imité la nature. C’est ainsi que les temples en forme de pyramides se substituent aux montagnes pour évoquer la connexion avec le Supramonde.

Les Mayas croyaient que l’Inframonde avait neuf niveaux, chacun d’eux étant régi par un « seigneur de la nuit », alors que le Supramonde comptait treize étages, chacun ayant son propre dieu. Il est curieux de remarquer que dans la Divine Comédie de Dante, l’Enfer comprend neuf cercles infernaux. On pourrait accumuler les similitudes entre les traditions spirituelles du monde sans que cette communauté de symboles n’autorise à parler de filiation ou de communication entre elles, surtout quand leur éloignement dans le temps ou dans l’espace exclut qu’on puisse admettre l’influence des unes sur les autres. Le fond doctrinal des traditions initiatiques est universel, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’on trouve partout les mêmes vérités exprimées sous des formes symboliques analogues.

Le panthéon maya

La mythologie maya n’est pas, à l’origine, le fruit d’une fantaisie gratuite. Les figures allégoriques qu’elle met en scène illustrent des concepts métaphysiques que le langage courant serait déficient à exprimer dans toute leur étendue et toute leur subtilité.

Conformément à la spécificité de la pensée maya, fondée une vision duelle des choses, les divinités sont le plus souvent nommées par paires. Les acteurs divins, tout comme les principaux héros des mythes, existent et agissent en duo. Ce procédé permet de mieux cerner un phénomène en l’illustrant sous ses deux aspects complémentaires.

Temple-pyramide du « Roi Chocolat », site de Tikal, Guatemala

Le dieu principal dans le récit du Popol Vuh semble être Hurakan. Il déploie son action sous les aspects symboliques du vent, le souffle étant une métaphore de la puissance génératrice de l’Esprit divin. Hurakan est assisté de trois démiurges qui personnifient autant d’aspects de la foudre, image elle-même du Feu divin créateur. La foudre figure également la force vitale qui fertilise la terre. Hurakan est encore appelé Cœur du Ciel ; son double féminin, Cœur de la Terre, participe avec lui à la création. Le « cœur » fait référence à la source de l’« esprit vital », qui donne vie à toute chose. Il évoque également le point central que traverse l’axe reliant entre eux le Ciel, la Terre et l’Inframonde, et autour duquel tournent les cycles de création.

Lors de chaque phase de la création, Cœur du Ciel conçoit en premier l’idée de ce qui doit être formé, tandis que les autres divinités donnent à sa volonté son expression formelle. Ces relais ne se bornent pas à exécuter passivement ses ordres ; toute action créatrice devant être prise en compte dans sa spécificité, elle résulte d’un effort unifié de ces acteurs divins, qui délibèrent avant d’agir de concert.

Parmi les autres couples divins en action dans le Popol Vuh, on rencontre Xpiyacoc, le « père », et Xmucane, la « mère », Xpiyacoc, également appelé Celui qui a engendré, étant l’aspect actif « masculin » du principe créateur, et Xmucane, évoquée également sous le noms Celle qui a enfanté, son aspect récepteur « féminin ». D’autres acteurs fréquemment mentionnés dans tout acte de création sont appelés l’Encadreur et le Façonneur. Créer une chose signifie en effet lui fournir un cadre et une forme ; lEncadreur est celui qui définit ce cadre, et le Façonneur celui qui modèle la chose en formatant une substance préexistante.

Le Serpent Quetzal

Comme autre duo créateur on trouve le Souverain et le Serpent Quetzal. Le Serpent Quetzal ou Serpent à plumes, appelé Kukumatz en langue quiché – Quetzalcoatl chez les Aztèques – est identifié à l’Eau primordiale, symbole elle-même de la Substance première indifférenciée, source de toute vie. Avec son complémentaire, le Souverain, le Serpent Quetzal incarne la puissance inhérente à ces Eaux élémentaires. L’image combinant l’oiseau céleste et le serpent terrestre et souterrain indique sa présence et son pouvoir à tous les niveaux, de la lumière du monde supérieur à l’obscurité des eaux profondes. Tous les dieux créateurs sont décrits comme étant « lumineux dans l’eau » et, enveloppés de plumes de quetzal – l’un des plus beaux oiseaux du monde -, ce qui les assimile eux-mêmes au Serpent Quetzal. Dans leur essence, ce sont de grands sages, détenteurs de la connaissance, le serpent étant un symbole de sagesse.

La création de la terre

Les premiers chapitres du Popol Vuh relatent la création du monde en parlant au présent, car en réalité, ils ne décrivent pas un évènement qui serait survenu dans un passé immémorial. Ils évoquent en langage symbolique l’univers actuel, depuis ses principes métaphysiques les plus élevés jusqu’aux choses terrestres visibles, la succession temporelle n’étant elle-même qu’un mode d’expression symbolique.

Avant la création, tout est silencieux et immobile, plongé dans la nuit et l’obscurité. Rien d’autre n’existe que le ciel et la vaste étendue de la mer aux eaux placides, d’où toutes choses émergeront. La ressemblance avec la situation initiale que décrit la Genèse biblique ne tient aucunement à l’influence d’éléments chrétiens ; le fond des doctrines métaphysiques étant universel, leurs expressions symboliques présentent souvent de telles similitudes. L’Océan primordial symbolise la Substance première universelle susceptible de prendre toutes les formes, à tous les degrés de manifestation, quand l’Esprit divin lui impose ses déterminations

L’Esprit divin créateur intervient toujours sous l’aspect d’au moins l’un des couples de divinités précédemment nommés : l’Encadreur et le Façonneur, le Souverain et le Serpent Quetzal, Cœur du ciel et Cœur de la terre, Xpiyacoc et Xmucane, Celle qui a enfanté et Celui qui a engendré des fils…. Parmi ces divinités, Cœur du Ciel apparait comme celui qui préside à l’œuvre.

Dans l’obscurité primordiale, Cœur du Ciel et ses trois démiurges, qui personnifient la foudre ou le Feu céleste, se concertent avec le Souverain et le Serpent Quetzal ; ensemble, ils conçoivent la lumière et la vie.

Puis ils créent la terre en la « mettant à part » dans les Eaux primordiales, c’est-à-dire en la spécifiant dans la Substance première universelle. Il leur suffit de dire « Terre » pour que la terre soit formée, leur parole symbolisant la puissance conceptrice et formatrice de l’Esprit divin. Des Eaux primordiales ils tirent ensuite les montagnes et les vallées, aussitôt constituées. Puis sont créés les bosquets et les forêts pour couvrir la surface de la terre. Ils arrangent ensuite la germination des arbres, des arbustes et de toute vie…

Les cours d’eau sont divisés en branches coulant parmi les montagnes, révélant ainsi l’existence de ces dernières. L’énergie élémentaire du monde, symbolisée par un cours d’eau, est spécifiée en plusieurs niveaux appelés à vivifier autant d’aspects de la création.

La création des hommes

Les dieux créateurs décidèrent de produire des êtres dotés de la parole, de sorte que ces créatures puissent les adorer. Dans son sens réel, l’adoration que sollicitent les divinités ne vise pas à combler un besoin narcissique qu’éprouveraient des entités imbues d’elles-mêmes ; elle fait référence à la mission que toutes les traditions spirituelles attribuent à l’homme : devenir un lien et un relai entre le monde céleste et le milieu terrestre où il vit.

Les animaux furent conçus et façonnés, mais comme ils ne savaient que crier, gémir ou rugir, ils s’avérèrent incapables de louer leurs créateurs, dont ils ne pouvaient même pas prononcer les noms. Les dieux, constatant leur échec, déchurent les animaux de la place prépondérante qu’ils leur avaient réservée sur la terre, et entreprirent d’autres tentatives pour créer ceux qui les adoreront, c’est-à-dire ceux qui sauront garder le contact avec le Ciel.

Dans les trois essais qui suivirent, les acteurs divins utilisèrent pour matériaux successivement l’argile, le bois et le maïs. Dans une lecture symbolique, ces quatre essais correspondent à quatre types d’êtres humains. La première catégorie, identifiée aux animaux, englobe les individus dominés par leur âme animale et ses pulsions instinctives ; bien qu’étant dotés de la parole, ils sont incapables d’exprimer une pensée cohérente.

Au deuxième essai, les dieux créateurs modelèrent et façonnèrent les hommes à partir de l’argile, mais le résultat fut décevant. La tête de ces humains était fixe au point qu’ils ne pouvaient regarder que dans une seule direction. À peine ces êtres de terre furent-ils détrempés qu’ils se sont effondrés et dissous dans l’eau. La rigidité de ce type humain entrave sa vision, mais ne masque pas longtemps son inconsistance.

Les êtres divins décidèrent alors de tailler des effigies dans le bois. Ces homme en bois pouvaient parler, mais leur visage et leur corps étaient rigides. Ils marchaient sans but, ne possédant ni leur cœur ni leur esprit. Leur incapacité à grandir dans la connaissance et à s’adresser à leurs créateurs les voua à leur destruction. Un déluge planifié par Cœur de Ciel s’abattit sur eux et les noya. Ce ne fut pas seulement le déluge qui sévit contre ces hommes ; les éléments naturels et les animaux sauvages les broyèrent, tandis que leurs animaux domestiques et leurs ustensiles dont ils s’étaient servis s’acharnèrent contre eux pour se venger de la façon dont eux-mêmes avaient été maltraités. L’homme se croit puissant quand il est armé et équipé, mais ses possessions extérieures ne lui appartiennent pas vraiment ; dès qu’il perd ces moyens, il se retrouve chétif et vulnérable. Le récit ajoute que les singes dans la forêt descendraient de ces effigies en bois ; cette assimilation signifie que la conscience supérieure et la compréhension essentielle font défaut à ce type d’hommes autant qu’aux animaux.

Plus tard, les dieux créateurs choisirent de prendre des épis de maïs pour former la chair vivante de l’humanité nouvelle. Le maïs évoque pas seulement la nourriture ; la croissance de ses grains, comme celle du grain de blé dans l’Évangile, illustre les potentialités de l’être humain destinées à se développer, si l’individu favorise leur croissance, pour donner naissance à un être nouveau. L’homme ne devient véritablement homme que lorsqu’il porte en lui cette promesse de la vie divine appelée à éclore.

Ces premiers hommes n’étaient pas seulement capables de parler un langage intelligible, d’écouter et de méditer ; ils voyaient tout ce qui se trouvait dans le ciel et sur la terre, de sorte que leur connaissance devint complète. Mais les dieux virent comme une erreur le fait que les humains soient comme eux. Ils limitèrent leur vue à ce qui se trouve dans leur environnement et à çe qui n’est caché par aucun obstacle. Les Mayas croient cependant que, malgré cette restriction, chaque être humain porte en lui le potentiel de la vision divine, qui lui permettrait de « voir » au-delà du temps et de la distance, et d’atteindre ainsi la connaissance et la sagesse. Cette faculté ne lui sera toutefois pas donnée gratuitement ; il devra la gagner au prix de son travail spirituel. L’homme dispose des atouts qui lui permettent de se construire ; il lui appartient de poursuivre sur lui-même l’œuvre créatrice, notamment grâce à l’art de l’initiation.

Le Popol Vuh précise que la création des hommes s’est produite avant l’apparition du soleil, de la lune et des étoiles. Cette invraisemblance apparente s’explique lorsqu’on comprend que cette imagerie renvoie à l’évolution intérieure de l’être humain. Dans leur sens symbolique, ces corps célestes figurent le rayonnement de la lumière dans le ciel intérieur de la conscience. Les luminaires célestes évoquant des états de conscience supérieurs, il parait donc cohérent que leur révélation survienne après celle des états humains inférieurs.

Le parcours initiatique

L’initiation, dont le but est l’accomplissement des états suprahumains, implique l’ascension dans les Cieux, mais cette élévation doit être précédée de la descente dans les Enfers situés métaphoriquement sous la terre, car la régénération de l’être ne se conçoit pas en ignorant sa partie obscure « souterraine ». Toute la littérature à fond initiatique du monde fait précéder l’accès durable à la lumière par des pérégrinations dans les ténèbres, avec leur suite de terreurs et d’épouvantes. La descente permet de prendre conscience des réalités d’ordre inférieur, qui doivent être épuisées avant qu’il soit possible de réaliser ses états supérieurs.

La barque du Roi Chocolat descendant dans l’Inframonde, image gravée sur un os trouvé à Tikal au Guatemala

Dans les croyances des Mayas, le voyage post-mortem du roi suit un trajet similaire à celui des initiés, ce qui sous-entend que les souverains furent eux-mêmes des initiés. Le roi défunt descend dans le monde souterrain, combat les dieux malveillants de l’Inframonde, puis entame l’ascension dans le Supramonde où il devient un dieu. Un os gravé trouvé dans la sépulture de Jasaw Chan K’awiil I (le « Roi Chocolat »), sur le site de Tikal au Guatemala, montre la barque du roi navigant dans les eaux du monde inférieur. Cette image rappelle la barque évoquée dans le Livre des morts égyptien, avec laquelle le soi-disant défunt – qui en réalité est un initié bien vivant – descend aux Enfers. Les eaux sur lesquelles navigue l’initié dans l’Inframonde sont celles du psychisme inférieur, identiques à celles de la « mer des passions ».

Barque du Roi Chocolat version moderne colorée, peinte sur un mur de l’association Ak’Tenamit, Guatemala. Les animaux présents à bord indiquent la maitrise par le roi de ses propres énergies animales, devenues motrices.

Plonger dans ses propres profondeurs exige un grand courage, car il faut s’attendre à affronter des visions terrifiantes. Les démons, ainsi que toute nature redoutable que rencontrera l’initié dans son fond obscur, sont les visions dramatisées des tendances malsaines que recèle l’être humain sous le seuil de la conscience ordinaire. Les pensées et les attitudes négatives, les pulsions perverses ou bestiales qu’il a nourries laissent en lui des traces qui, durant cette exploration intérieure, deviennent visibles sous des apparences cauchemardesques. L’orgueil et l’égoïsme, par exemple, constituent en l’homme des démons puissants et malfaisants. La purification complète de l’homme s’obtient à l’issue d’une lutte opiniâtre contre ces ennemis du « monde souterrain », car l’initié ne pourra mener à bien sa transmutation tant que subsisteront ces forces maléfiques ancrées dans ses profondeurs, dont l’épuration ou la maîtrise constituent le préalable exigé.

Dans la suite de cette étude, d’autres mythes tirés du Popol Vuh illustreront, sous forme allégorique, certains épisodes de cette aventure intérieure que vivaient les initiés dans le cadre de la tradition initiatique maya.

Le mythe de Sept-Aras et ses fils

Après le déluge qui emporta les effigies en bois, un homme gonflé d’orgueil vivait sur la terre. Son nom, Sept-Aras (Vukub-Cakix), exprimait l’éclat et la brillance ; ses yeux étaient en argent, ses dents en émeraude et d’autres parties de son corps en métaux précieux. En ce temps où le soleil et la lune ne brillaient pas dans toute leur clarté, ce vantard, qui n’aspirait qu’à la grandeur, se gonflait d’être le soleil et la lune. Il avait pour fils deux géants violents et arrogants : Zipacna (« Entasseur de montagnes ») et Cabrakan (« Tremblement de terre ») ; le premier s’employait à élever des montagnes, le second à les démolir.

Sept-Aras et ses fils incarnent en l’homme les facteurs de discorde entre la matière et l’esprit. Sept-Aras figure l’ego, la conscience ordinaire, que l’initiation se donnait pour objectif de dépasser. Zipacna et Cabrakan, équivalents des Titans dans la mythologie grecque, représentent les forces qui veulent n’exister que par elles-mêmes et pour elles-mêmes. Le soleil et la lune que Sept-Aras, dans sa suffisance, prétend remplacer symbolisent les deux sources de lumière appelées à éclairer le ciel intérieur de l’être humain : l’intelligence et la sagesse. L’activité des fils de Sept-Aras, dont l’un érige les montagnes que l’autre démolit, illustre la stérilité des actions humaines titanesques, motivées par l’orgueil mais dépourvues de véritable sens.

Masque de jade

Cœur du Ciel, irrité par l’orgueil de Sept-Aras et de ses fils, chargea les jumeaux Hunahpu et Xbalanque de châtier leur arrogance. Ces derniers affrontèrent Sept-Aras ; ils le blessèrent aux dents et à la mâchoire, mais Sept-Aras arracha le bras d’Hunahpu. Les jumeaux allèrent consulter les divinités père et mère, Xpiyacoc et Xmucane, déguisés en sorciers. Ceux-ci accompagnèrent les solliciteurs jusqu’à la demeure de Sept-Aras, qu’ils trouvèrent à l’agonie. Ils le persuadèrent de se laisser opérer afin de soulager ses souffrances. Ils remplacèrent ses dents étincelantes par des grains de maïs, et enlevèrent de ses yeux le métal précieux. Aussitôt le visage de Sept-Aras s’assombrit. Son éclat, sur lequel il fondait son orgueil, se ternit, ce qui amena sa mort. Le bras de Hunahpu fut récupéré et réimplanté sur son épaule.

Crocodile, l’un des symboles de Zipacna

Zipacna, le « faiseur de montagnes », déjoua une première tentative de Hunahpu et Xbalanque pour l’enfouir dans un fossé, mais les jumeaux lui tendirent un autre piège plus efficace. Alors qu’il cherchait sa subsistance, ils placèrent un crabe artificiel dans une caverne au fond d’un ravin. Zipacna affamé descendit dans cette cavité, et les jumeaux ébranlèrent une montagne proche qui s’effondra sur lui. Son cadavre fut changé en pierre.

Puis Hunahpu et Xbalanque mirent au défi son frère Cabrakan d’aller renverser une haute montagne. En chemin, ils lui donnèrent pour nourriture un oiseau empoisonné. Cabrakan, après l’avoir mangé, perdit ses forces ; ne parvenant pas à déplacer la montagne, il fut ligoté et enterré par les deux héros.

La lutte de Hunahpu et Xbalanque contre Sept-Aras et ses fils prend place sur le terrain intérieur à l’être humain. Elle illustre l’opposition entre la conscience spirituelle et la composante instinctive et égotiste de l’homme. La victoire des héros divins illustre la domination de l’esprit sur les forces obscures de la nature humaine. Le prestige de Sept-Aras ne se fondait que sur sa richesse matérielle et sur son éclat extérieur ; or l’être humain n’est pas abouti si telle est la seule source de sa gloire et de son pouvoir. Quand ses richesses lui sont ôtées, sa puissance se révèle inconsistante. Les fils de Sept-Aras, vaincus, sont tués ou ensevelis sous la terre, les profondeurs obscures de l’être, car une conscience libre et évolutive ne pourrait pas exister sans que le principe divin ne neutralise en l’homme cette force restrictive. Les êtres divins remplacent les dents d’émeraude de Sept-Aras par des grains de maïs ; pour la première fois, ils offrent à l’homme ce symbole de la nourriture divine.

Cet épisode où interviennent Hunahpu et Xbalanque prend place avant le récit qui relate la naissance de ces deux héros. La succession des chapitres du Popol Vuh, en effet, ne suit pas la chronologie des évènements extérieurs, mais l’évolution intérieure de l’homme engagé dans l’initiation.

La descente et la mort dans l’Inframonde

Terrain du jeu de balle à Copan

Xpiyacoc et Xmucane, les divinités père et mère, eurent deux fils, des jumeaux appelés Hun-Hunahpu et Vucub-Hunahpu. Alors que ces derniers jouaient une partie de balle, les souverains de Xibalba, le monde souterrain, irrités par le bruit, leur envoyèrent des chouettes comme messagers pour les défier à ce jeu. Le jeu de balle, qui fut pratiqué sous diverses variantes dans la Mésoamérique, évoque la lutte entre la vie et la mort ; il commémore le soleil qui achève le soir son parcours céleste pour descendre la nuit dans l’Inframonde. Le terrain de jeu figure le plancher qui sépare le monde terrestre des Enfers. L’un des enjeux était que la balle ne touche pas le sol, ce qui irriterait les divinités du monde souterrain.

Hunahpu et VucubHunahpu acceptèrent le défi et suivirent les chouettes, ces oiseaux nocturnes, sur la pente raide menant à l’Inframonde. Après avoir traversé de périlleux cours d’eau, comme la rivière de sang, ils arrivèrent à la résidence des rois de Xibalba, où ils furent maltraités et persécutés, puis sacrifiés et enterrés. À l’image du maïs, dont la graine doit mourir dans la terre pour qu’il puisse pousser et fructifier, Hun-Hunahpu et VucubHunahpu, qui personnifient la conscience de l’initié, doivent descendre et périr dans le monde souterrain, la composante obscure de l’homme, afin qu’une conscience nouvelle puisse renaître.

La naissance des héros divins

Arbre à calebasse

Les rois de Xibalba suspendirent la tête tranchée d’Hun-Hunahpu à un calebassier poussant dans l’Inframonde. Il était presque impossible de la distinguer des fruits de cet arbre. Une jeune princesse appelée Xquiq, fille d’un seigneur de Xibalba, se rendit près de cet arbuste à calebasses. Elle tendit la main vers la tête d’Hun-Hunahpu, qu’elle prenait pour un fruit : la tête cracha alors dans sa main. La salive d’Hun-Hunahpu rendit cette vierge enceinte. Six mois plus tard, son père s’aperçut de son état. Xquiq, malgré ses protestations d’innocence, dut fuir le monde souterrain pour échapper à son exécution. Peu de temps après, elle accoucha de deux jumeaux, Hunahpu et Xbalanque.

Xquiq devant les seigneur de Xibalba

La conscience de l’initié, morte dans l’Inframonde, renait à une vie nouvelle grâce à la semence transmise à une vierge par le biais d’un arbre fruitier. La vierge incarne une dimension de l’âme ignorée de la conscience ordinaire. Cette fille d’un seigneur de Xibalba appartient au monde souterrain et ténébreux, mais elle porte en elle le potentiel propre à créer une vie nouvelle sans perdre sa virginité, c’est-à-dire sa nature incorruptible. Son nom, Xquiq, signifie « Dame Sang », le sang étant dépositaire de la vie. La salive d’Hun-Hunahpu, équivalant au sperme, transmet son essence à ce potentiel de génération. Le calebassier, qui rappelle l’arbre du monde, suggère la remontée à la verticale vers la surface terrestre. Selon l’explication que livre le récit, Xquiq effectue ce mouvement pour fuir la colère de son père, car les règles sociétales du monde souterrain calquent celles de la société maya, qui ne plaisantait pas avec les relations sexuelles illicites ; toute transgression exposait les fautifs à un châtiment sévère. Mais la vraie raison, c’est que ce qui a germé dans l’obscurité doit se révéler au grand jour.

Les jumeaux Hunahpu et Xbalanque incarnent la conscience rénovée de l’initié, apte à affronter les terribles épreuves de l’Inframonde. Le Popol Vuh présente ces héros comme étant des êtres lumineux et accomplis, exempts des péchés qui affectent les humains ordinaires : la convoitise, la colère, l’orgueil, l’envie, la médisance… Tant que l’homme ne s’est pas purgé de ces défauts, il n’est pas en mesure d’agir de concert avec Cœur de Ciel, le dieu inspirateur de ceux qui s’efforcent de vaincre la mort.

Les péripéties des héros dans l’Inframonde

Chauve-souris
Jaguar

Alors que Xbalanque et Hunahpu jouaient à la balle, ils importunèrent eux aussi les seigneurs de Xibalba, lesquels envoyèrent leurs messagers pour les défier à ce jeu. Les jumeaux descendirent dans l’Inframonde en suivant le même chemin que celui où les avaient précédés leur père et leur oncle. À leur tour, ils passèrent par les rivière souterraines, dont la rivière de sang, déjouant en chemin les pièges tendus par les seigneurs de la mort pour tromper les visiteurs imprudents. Ils affrontèrent avec brio une succession d’épreuves symbolisées par le séjour dans la maison des couteaux, la maison du froid, la maison du jaguar et la maison du feu, mais quand les seigneurs de la mort leur imposèrent de passer la nuit dans la maison des chauves-souris, Hunahpu fut décapité par l’une de ces bêtes. Les maitres de Xibalba prirent sa tête pour jouer à la balle avec elle, mais Xbalanque réussit à récupérer la tête et à la rattacher au corps d’Hunahpu.

Les souverains de Xibalba brûlèrent ensuite les jumeaux dans un grand four et broyèrent leurs os calcinés en poussière, qu’ils jetèrent dans la rivière de la mort. Trois jours plus tard, Xbalanque et Hunahpu ressuscitèrent et revinrent vers les seigneurs de la mort, sous l’apparence de deux pauvres orphelins en haillons. Après avoir tué et ressuscité un chien, l’un des deux jumeaux, Xbalanque, réitéra l’expérience sur Hunahpu ; il arracha son cœur et découpa sa tête, puis il le ressuscita. Les deux principaux seigneurs de Xibalba, épatés, demandèrent à vivre les mêmes sensations. Les deux héros les tuèrent, mais ne les ressuscitèrent pas. Les autres démons de Xibalba, terrorisés, jurèrent de ne plus jamais leur causer aucun tort.

De même que le Christ descendit aux Enfers pour vaincre la mort, les héros jumeaux s’engagent dans le monde souterrain, Xibalba, le royaume des morts ; mais à la différence d’Hun-Hunahpu et de VucubHunahpu, leur père et leur oncle qui périrent dans l’Inframonde, ils en ressortent triomphants pour gagner l’immortalité. Un épais chapitre serait nécessaire pour interpréter la signification symbolique des tribulations, qui sont autant d’allégories des épreuves initiatiques qu’ils durent affronter, dans l’Inframonde, dans le but d’assainir cette composante obscure de l’être. On retient néanmoins qu’à aucun moment, ils ne se laissèrent intimider par les terrifiants « seigneurs de la mort ».

Après avoir vaincu et neutralisé les dieux infernaux, Xbalanque et Hunahpu quittèrent l’Inframonde et s’élevèrent dans le Ciel, où l’un devint le Soleil et l’autre la Lune. C’est ainsi que le ciel s’est illuminé sur la surface de la terre, l’image signifiant que la lumière révélée dans le ciel intérieur de l’initié éclaire désormais la totalité de son être.

Valeur du syncrétisme religieux

Tableau dans l’église de San Juan La Laguna, Guatemala

En dépit de l’acharnement des ecclésiastiques zélateurs à éradiquer toute trace de l’ancienne religion maya, un champ de croyances parallèle persista à coexister avec la religion officielle. Les autochtones, tout en se disant chrétiens, continuaient à croire à leurs déités et à révérer leurs lieux sacrés. La campagne d’extirpation finit par marquer le pas. Des prédicateurs catholiques plus éclairés entreprirent d’adapter les apparences du culte chrétien aux formes religieuses préhispaniques. Le recouvrement donna lieu à une sorte de syncrétisme, dans lequel la culture indienne d’origine préserva une partie de son intégrité. Des survivances de l’ancien culte coexistent avec la foi chrétienne dans la culture populaire, les coutumes rurales et les fêtes traditionnelles.

Le Christ et la Vierge Marie furent représenté dans les tableaux avec un faciès propre aux indigènes, les cheveux noirs et la peau colorée. Pour inciter les Indiens à renoncer à leurs divinités, on s’efforça de rendre l’image de la Vierge identique à l’une des déesses qu’ils avaient adorées.

Cette forme de religiosité alimente jusqu’à nos jours une réelle ferveur populaire. En revanche, ce syncrétisme, qui s’en tient aux formes extérieures, conforte les incroyants dans leur conviction que la religion ne serait qu’un opium du peuple, un artifice conçu pour le maintenir dans l’ignorance et la duperie. Il pourra difficilement en être autrement tant que que la dimension symbolique des doctrines religieuses demeurera ignorée.

Ces dernières années, des fragments de textes ont été redécouverts et étudiés. Les anthropologues et les ethnologues ont réalisé des avancées significatives dans l’étude de la religion maya préhispanique. L’essentiel reste toutefois à accomplir : restituer aux mythes anciens, au-delà de leur formulation, leur signification symbolique propre à faire revivre l’esprit qui les a inspirés. Une démarche similaire reste tout autant à effectuer pour les textes bibliques. La condition requise pour qu’à la place d’un syncrétisme superficiel, il soit possible de parler d’une vraie synthèse entre les religions, serait que soit redécouverte l’unité transcendante de leurs doctrines, de leurs mythes et de leur symbolisme.

2 réponses sur “Cosmologie et mythes des Mayas”

  1. bravo Pascal!

    un travail et une synthèse impressionnante!
    sans toi, je serais passe à côté de beaucoup de choses.
    Tu fais partie des belles rencontres de ce voyage!
    Merci encore et amitiés à Danuta!
    A une prochaine fois, j,’ espère !
    Yves Soubigou

    1. Merci beaucoup Yves ! Je suis très flatté que tu aies lu et apprécié mon article.
      Faire ta connaissance et celle d’Isabelle a été un grand plaisir pour moi. À très bientôt !
      Pascal

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Pascal Bancourt - Écrivain