Alors que les empires militaires réduisaient l’exercice physique à un entrainement utilitaire en vue du combat, la Grèce antique l’a érigé en un modèle d’accomplissement, dont la redécouverte a enthousiasmé les éducateurs modernes. La Volonté humaine a conçu cette forme de sublimation de l’activité corporelle, dégagée de toute préoccupation utilitaire, qui offre l’ivresse de la compétition et du dépassement personnel par l’aboutissement de ses efforts. Le sport devient une sorte d’ascèse dans laquelle le geste physique, voulu pour lui-même, mobilise les ressources individuelles, physiologiques et psychiques jusqu’à débloquer des forces profondes.
Dans les sociétés travaillées par les inégalités, le sport offre aux aspirations égalitaires un moyen de s’exprimer. Une compétition sportive n’est crédible qu’en respectant une stricte égalité dans les critères d’évaluation et de mesure. Les prédispositions physiologiques innées assurent un avantage indéniable, mais chaque participant atteint le rang qu’il mérite par ses seuls efforts, et non en vertu de prérogatives ; son héritage familial ou social ne lui sera d’aucun atout. Le résultat acquis est régulièrement remis en jeu ; défendre un titre de champion, c’est le reconquérir en partant du même point de départ que tous les autres concurrents.
Une grande partie des sports modernes les plus répandus sont nés dans le milieu élitiste de la bourgeoisie anglaise, qui voyait en eux le moyen d’éduquer la jeunesse et de tremper sa volonté, avant de gagner les milieux prolétaires et de se massifier dans la ferveur des foules. L’idéal sportif n’a pas toujours été respecté. Les compétitions n’ont pas toutes été exemptes de falsifications : le dopage, les manipulations biologiques, les trucages exercés pour des motifs pécuniaires… Dans des disciplines où l’amateurisme n’a plus ses chances, ne se maintiennent au niveau supérieur que des clubs disposant de moyens financiers qui leurs permettent d’assurer l’inflation des salaires. Le plus universel des sports, le football, brasse des sommes énormes.
La valeur éducative du sport passe au second plan dès lors que les grandes compétitions donnent lieu à des débordements émotionnels pouvant aller jusqu’à l’hystérie. La surenchère dramatisante de la part des médias exacerbe les passions collectives. Les couches populaires s’adonnent à cette frénésie pour fuir un sentiment d’absence de sens de leur existence. Les régimes despotiques ne se sont pas privés de détourner la ferveur populaire pour les grands événements sportifs comme un dérivatif à l’oppression qu’ils imposent à leur peuple.