La science moderne, entendue ici comme consistant dans l’étude de la nature et du monde physique, résulte des efforts déployés par la Volonté humaine en Europe, depuis la Renaissance, pour accéder à la connaissance en ne comptant que sur ses propres moyens.
La démarche scientifique s’est imposé des règles méthodologiques proches d’un véritable ascétisme cérébral, fondées sur une rigueur impersonnelle, sur la négation – en théorie du moins – de tout préjugé, et sur le rejet de toute assertion qu’elle ne puisse pas contrôler par les facultés dont elle dispose : l’observation, l’expérience et le raisonnement cérébral, tout s’efforçant d’accroitre les moyens techniques d’observation dont elle dispose.
Le plus grand schisme de la culture moderne a séparé la science de la religion. La science grecque s’apparentait à l’esprit religieux. Aristote, qui concevait la physique comme une dépendance de la métaphysique, ne voyait dans les lois de la nature qu’une application des principes supérieurs à la nature. La démarche scientifique moderne, à l’inverse, se fonde sur la rupture avec tout principe métaphysique. Sous l’impulsion rationaliste de Bacon et la régulation méthodologique de Descartes, elle ne s’est attachée qu’à ce qui regarde le monde sensible. Elle ne récuse pas la philosophie, mais elle refuse de se référer à des vérités absolues. Un scientifique moderne porté sur la spiritualité ou sur la religion se conduira dans un laboratoire de la même façon que ses homologues matérialistes et athées.
La science a acquis un réel prestige aux yeux des modernes, auprès desquels elle suscite un respect inégalé. Les vulgarisateurs et les écrivains scientistes ont contribué à assoir, dans le grand public, le mythe d’une science promise à un avenir messianique, qui résoudrait les problèmes fondamentaux de l’humanité. Des idéologies l’ont substituée aux croyances pour acheminer l’homme vers sa réalisation. Quand les intellectuels raillent les religions, ils assoient leur conviction sur la supériorité de la science sur les dogmes « moyenâgeux ».
Le public, ébloui par les applications techniques, ne perçoit pas les incertitudes qui affectent la science officielle. Une auto-critique a toutefois remis les idées en place ; elle regarde la science non comme un édifice lumineux, mais comme un assemblage de théories provisoires, susceptibles à tout instant d’être remplacées par de nouvelles interprétations théoriques. Les scientifiques lucides, au lieu d’ériger leur discipline en un dogme apte à livrer l’explication dernière de toute chose, reconnaissent que l’on attend de la science plus que ce qu’elle peut assurer.
La quantité formidable de connaissances qu’elle a accumulées a abouti à spécialiser les chercheurs dans des domaines de plus en plus étroits. Des théoriciens ne perdent toutefois pas l’espoir de parvenir un jour à unifier la connaissance scientifique en une synthèse cohérente ; mais cette démarche, si elle aboutit, sera d’ordre philosophique ou métaphysique ; elle ne pourra pas procéder de la démarche scientiste, limitée par les restrictions qu’elle s’impose à elle-même.