Les explications théoriques qui vont suivre, sur les rapports entre la Matière et l’Esprit, relèvent de la métaphysique et de la cosmologie.
La matière au sens plein
Quand les métaphysiciens grecs évoquent la matière dont est fait le monde, ils ne parlent pas la matière physique dont nous percevons les apparences au moyen des sens corporels. La notion de matière, dans la signification où ils l’entendent, s’étend à la substance qui sert de support aussi bien au monde sensible qu’aux mondes dits immatériels. Le corporel et le psychisme, par exemple, sont des degrés de densité ou de ténuité de la Substance universelle. L’âme est constituée d’une matière psychique de même que le corps est formé d’une matière physique, la différence étant que ces deux réalités ne présentent pas le même degré de subtilité ou de densité.
La Substance fondamentale de la Création
Les anciennes traditions spirituelles évoquaient sous l’image symbolique de l’Eau élémentaire, ou de l’Océan primordial, la Substance fondamentale de l’univers, le principe plastique substantiel de toute chose et de tout être, substrat de toute existence physique ou supra physique. La Substance première universelle est la puissance pure à son état premier, informe, où elle n’a rien de distingué ni d’« actualisé ». Elle est la potentialité « indistinguée » et indifférenciée, d’où émanent tous les mondes et tous les états existants.
La dualité Esprit et Matière
La première de toutes les dualités cosmiques, source de tout ce qui existe dans l’univers visible et invisible, est constituée de l’Esprit divin et de la Substance élémentaire. Ces deux principes universels représentent les deux pôles de toute manifestation. L’Esprit pur équivaut à l’Essence qui fait prendre à la Substance plastique universelle les formes et les déterminations qu’elle ne revêtirait pas à elle seule ; rien n’existerait si l’Acte divin ne pliait cette réalité élémentaire aux limites formelles qu’il lui imprime. En retour, la Substance peut tout devenir quand le pouvoir formateur de l’Esprit lui impose ses déterminations.
La Substance primordiale de l’univers, loin de se réduire à une sorte de pâte à modeler passive, est à la base une puissance terrible, dynamique et impétueuse quand elle n’est déterminée par aucune contrainte. Elle contient en effet toutes les possibilités, y compris toutes les énergies susceptibles de se manifester dans l’univers sous une forme spécifiée. Cependant, quand l’Esprit divin exerce sur elle son pouvoir créateur, cette puissance élémentaire se fait passive devant lui et se rend entièrement réceptive à sa volonté.
La Substance première et les substances spécifiées
Les scolastiques, après Aristote, parlaient de materia prima et de materia secunda, des notions que l’on pourrait restituer par les expressions « substance première » et « substance spécifiée ». La substance spécifiée représente le principe substantiel propre à un ordre d’existence délimité. Pour créer les univers, visibles ou invisibles, la Volonté divine définit, à partir de la Substance première, ce qui jouera pour chacun de ces mondes le rôle de matière appropriée. À la différence de la Substance première, la substance spécifiée n’est pas informelle et indifférenciée ; elle est au contraire déterminée, en accord avec les conditions spéciales du monde auquel elle sert de support.
La matière telle que l’entendent les physiciens modernes doit être regardée comme une substance spécifiée, puisqu’elle ne peut se définir que par les propriétés que voient en elle les scientifiques. Il faut rappeler que les qualités sensibles d’une substance spécifiée ne lui appartiennent pas en propre ; elles procèdent toutes des déterminations qu’elle a reçues de l’Esprit formateur.
La dualité essence et substance
Le dualisme qui, avec L’Esprit et la Matière, est présent au niveau suprême se reproduit dans tous les mondes, ou états d’existence, constitués d’une substance spécifiée. L’existence de tout être procède en effet de deux choses : son essence et sa substance. Chaque chose existante résulte de l’action qu’exerce le principe actif, l’essence, sur le principe passif et réceptif, la substance. L’essence d’un être, c’est la synthèse de tous les attributs ou qualités qui lui appartiennent, et qui font que cet être est ce qu’il est, tout en étant constitué d’une matière, son principe substantiel.
Les philosophes scolastiques expriment la même idée en disant que tout être est composé de « forme » et de « matière » ; mais les mots « forme » et « matière » prêtent à confusion de nos jours, en raison du sens tout différent qu’ils ont pris dans le langage moderne. La « forme » et la « matière », ou l’essence et la substance, sont également appelés, en langage aristotélicien, « l’acte » et « la puissance ». L’acte est ce par quoi tout être participe à l’essence, et la puissance ce par quoi il participe à la substance.
Le pouvoir de créer les formes, qui appartient à l’Esprit, est à l’origine de l’essence de chaque être, celle qui permet à celui-ci d’exister en étant formé à partir d’une substance particularisée. L’âme, par exemple, résulte de ce que les alchimistes appellent une fixation, ou une coagulation, par laquelle la substance spécifiée, en l’occurrence la matière psychique, est figée dans sa forme actuelle.