Il n’y a plus guère de « mystère Louis XVII » depuis que des analyses ADN, effectuées en 2000, ont permis d’authentifier le cœur de l’enfant mort en 1795 à la prison du Temple à l’âge de dix ans. Néanmoins, la question s’est posée durant deux siècles ; qu’était devenu le dauphin, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, emprisonné au Temple avec ses parents ?
L’affaire de la « survivance de Louis XVII » constitua une des énigmes historiques dont on s’est préoccupé au XIXe siècle. Elle a nourri bien des fantasmagories, et elle agita certains milieux politico-religieux aux dessous assez ténébreux, qui embrouillèrent à dessein la question au point de la rendre inextricable. Le plus étrange, dans l’affaire, reste qu’ils réussirent à convaincre même des sceptiques que tel ou tel personnage vivant était bien Louis XVII.
Origine de l’embrouille
Revenons sous la Révolution, au temps de la Terreur ; les Montagnards étaient convaincus que le bien de l’humanité exigeait, pour éradiquer la monarchie, d’éliminer physiquement le roi et la reine ; mais que faire du petit dauphin ? Guillotiner les parents ne leur posait aucun problème moral, mais exécuter un enfant risquerait de mal passer et de devenir embarrassant vis-à-vis de l’opinion publique. En même temps, le laisser vivre impliquait le risque que, devenu majeur, il rallie à lui les partisans de la monarchie pour réclamer le trône. On a soupçonné ses geôliers de l’avoir secrètement empoisonné, mais le plus vraisemblable, c’est qu’ils l’ont laissé mourir, faute de soins, de la maladie qu’il avait contactée sous l’effet des conditions de sa détention à la tour du Temple, qui servit de prison.
La mort du dauphin à la prison du Temple n’aurait laissé aucun doute dans les esprits, si certains milieux politiques n’avaient trouvé intérêt à convaincre un maximum de gens que l’enfant royal avait survécu à sa détention. Le mythe de sa survivance, favorisé par des groupes partisans de la restauration de la monarchie, flatta le goût d’une partie du public pour les histoires conspirationniste, tout en offrant aux historiens matière à spéculer. Sa diffusion lors de la première moitié du XIXe siècle permit à une multitude d’imposteurs, ou de mythomanes convaincus de leur véracité, de prétendre être le dauphin secrètement extirpé de sa prison. Parmi eux, un escroc appelé Henri Hébert, qui se donnait le titre de baron de Richemont, abusa de la confiance de ceux qui crurent avoir affaire au vrai Louis XVII.
Éléments troublants
Cependant, parmi les faux Louis XVII, certains ne furent pas des imposteurs mais des hallucinés. Le plus connu fut Karl-Wilhelm Naundorff (1785-1845). Cet horloger prussien, arrivé à Paris en 1833 dans le plus complet dénuement, réussit à convaincre plusieurs personnes ayant vécu dans l’entourage de Louis XVI, parmi lesquels d’anciens serviteurs de la famille royale ; ces derniers reconnurent en lui le dauphin qu’ils avaient côtoyé à Versailles. Il racontait son enfance avec une vérité saisissante, livrant des détails intimes décisifs pour attester la véracité de ses souvenirs. Agathe de Rambaud, l’ancienne femme de chambre de la Maison des Enfants du Roi, le testa en lui montrant un habit qui avait appartenu au dauphin ; elle lui demanda s’il se souvenait à quelle occasion il l’avait porté aux Tuileries. Naundorff répondit que ce fut lors d’une fête mais à Versailles, et non aux Tuileries, et qu’il ne l’avait plus revêtu ensuite parce qu’il le gênait. La réponse ôta à Mme de Rambaud ses derniers doutes. Naundorff se constitua un entourage de plus en plus nombreux de partisans légitimistes, qu’il regroupa autour de lui pour former sa cour. Le gouvernement de Louis-Philippe finit par l’emprisonner, puis l’expulsa vers l’Angleterre. Il mourut en exil en Hollande, mais ses héritiers continuèrent après sa mort à faire valoir leurs prétentions.
L’ésotériste Éliphas Lévi livre l’explication de ce phénomène qui parait incroyable, mais qui n’est pas irréaliste[1]. Paracelse assure que si, par un effort de volonté exceptionnel, on pouvait s’identifier à une personne autre que soi-même, on connaitrait les plus secrètes pensées de cette personne et on attirerait à soi ses plus intimes souvenirs. Éliphas Lévi évoque un autre exemple où ce phénomène psychique a été reproduit à dessein. La secte des Sauveurs de Louis XVII, composée surtout d’anciens serviteurs de la royauté légitimiste, avait pour obsession de restaurer la légitimité monarchique en rétablissant Louis XVII sur le trône de son père. Jamais les Louis XVII ne leur manquèrent ; ils en eurent successivement sept ou huit, parmi lesquels figura Naundorff, alors exilé à Londres. L’enthousiasme de ces sectaires, exalté dans leur cercle magnétique jusqu’à la folie, était contagieux au point de gagner à leurs croyances ceux-là mêmes qui venaient les combattre. Ces hommes, à force de vouloir un Louis XVII, finissaient par le générer ; ils évoquaient des hallucinations telles que des médiums se faisaient à la ressemblance du type magnétique et, se croyant réellement l’enfant royal échappé du Temple, ils attiraient à eux tous les reflets de cette victime, allant jusqu’à se souvenir de circonstances connues uniquement de la famille de Louis XVI.
Un cas similaire : l’énigme Anastasia
Le cas Naundorff n’est pas sans rappeler celui de la pseudo Anastasia. Le tsar de Russie Nicolas II, l’impératrice son épouse et leurs cinq enfants furent assassinés par les bolcheviks en 1918 à Iekaterinbourg, mais l’incertitude au sujet de la mort de l’une de leurs filles, Anastasia, compta parmi les mystères du XXe siècle.
Une dénommée Anna Anderson, qui en réalité était une Polonaise du nom de Franziska Schanzkowska, prétendit en effet être la grande-duchesse Anastasia, miraculeusement rescapée de la tuerie. Des tests ADN ont prouvé par la suite la fausseté de ses affirmations, mais cette mythomane affichait une conviction telle que des proches du tsar la reconnurent comme étant sa fille. Le capitaine Felix Dassel, sceptique quant à la survie d’Anastasia, tenta à plusieurs reprises de la piéger en évoquant de fausses informations, qu’elle rectifiait aussitôt ; plus tard, il affirma sous serment l’avoir reconnue.
Des chercheurs furent obligés d’admettre que de simples imposteurs n’auraient jamais pu maintenir leur subterfuge aussi longtemps que le fit cette femme sans être déjoués.
[1] Éliphas Lévi, Histoire de la magie, Trédaniel, Paris, 2008, p. 451-453.