La technique

La science moderne doit son prestige aux yeux des masses aux applications techniques auxquelles elle donne lieu. La Volonté humaine tire de la recherche scientifique la satisfaction d’étendre le champ de ses connaissances, mais ce succès obtenu sur le plan intellectuel ne lui confère, à lui seul, aucun pouvoir sur les déterminismes naturels que la science pure met en lumière ; c’est dans l’utilisation pratique de la science que la Volonté de l’homme trouve le moyen d’exercer sa puissance. La démarche scientifique glisse alors vers un pragmatisme fondé sur la confusion entre la vérité et les besoins pratiques. Aux yeux de la majorité, le critère principal de véracité des connaissances devient leur capacité à dominer la matière et à répondre aux exigences de l’économie, à travers les applications industrielles.

Le niveau scientifique de l’Antiquité était loin d’être ridicule, comme en attestent les témoignages d’auteurs anciens que cite Saint-Yves d’Alveydre[1]. Les civilisations antiques n’ont produit que peu d’applications techniques car elles n’accordaient pas à l’aspect matériel plus d’importance qu’il n’en mérite. Les Grecs connaissaient l’électricité et la force motrice de la vapeur, mais les préoccupations utilitaires ne passèrent jamais chez eux au premier plan. Par ailleurs, pour affranchir les hommes libres de la servitude des tâches laborieuses, la Volonté humaine n’eut guère besoin chez eux de la technique ; l’esclavage y pourvoyait.

Les plus grands succès de la technique moderne résident dans la contraction du temps et des distances. Comme le temps s’impose à la Volonté humaine comme une contrainte qui restreint sa liberté, la technique s’efforce de le contourner en raccourcissant la durée au maximum. La Volonté humaine ne peut déployer sa puissance que dans l’espace, qui lui offre un champ libre. La fièvre d’expansion et de conquête spatiale met en œuvre tout un arsenal de moyens prompts à relier instantanément ce qui est éloigné. La téléphonie, internet et les moyens de transport rétrécissent la planète.

Les hommes volitifs ont cru aux promesses mirifiques du progrès technique qui libérerait l’humanité de la nécessité, qui déchargerait l’homme des tâches fastidieuses et qui résoudrait tous les problèmes sociaux dans une société d’abondance, où la production comblerait les besoins. Mais cette idéologie messianiste est trompeuse, car les problèmes restent avant tout d’ordre sociologique et politique. Le déploiement des accélérateurs de puissance s’opère trop souvent dans le sang et la douleur. Le progrès technique, à côté du bien-être qu’il assure à certains, ne réduit en rien la misère physique et morale des catégories de travailleurs peu qualifiés. De surcroit, la technique sert à des fins opposées aux libertés, comme l’hypercentralisation, la planification de la vie sociale, la surveillance policière et la télécommande des conduites. Elle fournit également des moyens de destruction à grande échelle dans une guerre totale.

La technique et le machinisme, qui prétendent affranchir l’humanité, induisent pour elle une nouvelle fatalité. La Volonté humaine ne sait pas maîtriser le surcroît de puissance qu’elle a acquis ; elle subit la servitude que lui impose l’outil qui promettait de l’émanciper. L’homme est devenu l’esclave d’un processus autonome qu’aucune instance ne contrôle. Les dirigeants sont pris dans un enchevêtrement mécanisé d’une complexité croissante, qui laisse peu de place aux décisions fondées sur le libre arbitre. Le développement technique les dépasse et génère des situations imprévues. La spécialisation qui s’impose aux techniciens, comme aux scientifiques, contrecarre leur volonté de dominer la matière. Les inventions mécaniques et industrielles accroissent les menaces de destructions et de catastrophes écologiques. Quand les technocrates constatent les dégâts, ils ne disposent pas des moyens de renverser le courant. Les conflits futurs pourraient naitre de l’incapacité à surmonter les crises liées au développement aveugle et incontrôlé de la technoscience.


[1] Saint-Yves d’Alveydre, Mission des Juifs, chapitre IV : « La science dans l’Antiquité ».

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Pascal Bancourt - Écrivain